La lampe du poète

Antoine de Latour
par Antoine de Latour
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Abaissons nos yeux sur la ville :
Comme son front luit et scintille
Un soir d’hiver quand le jour fuit !
La jeune fille qui s’apprête
Se promet tout bas la conquête
Des adolescents que la fête
Invite aux danses de la nuit.

La fête, au loin, sous les portiques,
Mêle toutes ses voix magiques,
Et le reflet des lampes d’or
Jette une teinte merveilleuse
Sur l’écharpe molle et soyeuse
Qui joue autour de la danseuse
Dans son capricieux essor.

A ce doux concert qui s’élève,
Le voyageur croit voir en rêve
Surgir, à son œil enchanté,
Quelque cité de l’Arabie,
Sous la baguette d’un génie,
Eclose, belle et rajeunie,
Dans une nuit de volupté.

Ton cœur, ô pèlerin, se livre
A ce spectacle qui l’enivre,
A ce prestige des échos,
Aux parfums que le vent promène
A la mélodie incertaine
Qui se prolonge dans la plaine
Et va s’éteignant sur les flots.

Ton œil ému suit dans l’espace
La ronde qui s’enchaîne et passe,
Et voit aux lueurs des flambeaux
Folâtrer la vierge enfantine
Dont chaque forme se dessine
Sur la flottante mousseline
Qui se déroule en longs rideaux.

Ah ! que du moins un doigt te montre
Qu’une main traîne à ta rencontre
Les pauvres couchés sur le seuil,
Froide tribu qui, dès l’aurore,
En proie à la faim qui dévore,
Se ranime pour tendre encore
La main au denier de l’orgueil.

Il voit, il écoute, il s’enflamme ;
Les palais ont toute son âme,
Et jamais, jamais son regard
Ne quitte la noble assemblée
Pour l’humble fenêtre isolée,
Dont la lampe pâle et voilée
Seule se consume à l’écart.

Là, fuyant les sentiers vulgaires,
Une âme avide des mystères
De la Muse, son seul trésor,
Se recueille et cherche la trace
Du chemin que suivit le Tasse,
Lorsque pour les rois du Parnasse
Rome eût aussi son livre d’or.

Laissez peser sur ces demeures,
Où si douces coulent les heures,
Les pas lourds et glacés du sort,
En ce lieu même où se balance
Le chœur animé de la danse,
Sera la mort et le silence,
Sera le silence et la mort.

Sur ces flambeaux la mort avide
Promènera sa main livide
Et le dernier aura son tour,
Mais la lampe, au Barde fidèle,
Voit éclore une œuvre nouvelle
Qui ne doit pas mourir comme elle,
Aux naissantes clartés du jour.

Antoine de Latour

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