L’arche invisible
Où va cette arche à qui les ondes
Ouvrent leur sein obéissant ?
Au vaste naufrage des mondes
Elle dérobe l’innocent.
De cette merveilleuse tombe
Va sortir, après la colombe,
Le genre humain ressuscité,
Et du haut de chaque colline
Monter vers la cité divine
L’hymne de l’homme racheté.
Semblable à cette arche visible
Que Dieu guidait vers les hauts monts,
Il est une arche inaccessible
Aux vents qui soufflent sur nos fronts ;
Dans ses ombres mystérieuses
Les âmes tendres et rêveuses
Attendent le repos du soir,
Et l’oubli de la source amère
Dont l’eau jamais ne désaltère
Le chrétien altéré d’espoir.
Portée au-dessus des orages,
A peine elle voit d’ici-bas
Monter la poussière en nuages
Qu’élèvent un moment nos pas.
Plus bas, sur les moissons nouvelles,
Se heurtent les races mortelles
Dans leurs vaines ambitions ;
Plus bas les empires s’écroulent,
Plus bas des conquérants s’écoulent
Les pâles générations.
Ici, les soucis qui se cachent
Jusqu’au fond des coupes de miel,
L’un après l’autre se détachent
Du cœur de ces hôtes du ciel :
Comme à mesure qu’il s’élance
Et dans l’espace se balance,
Pour voir le soleil de plus près,
L’aigle de son aile rapide
Sent tomber la rosée humide
Qu’il emporta loin des forêts.