Le livre perdu
Si vous l’avez trouvé, rapportez-moi mon livre,
L’hôte consolateur de mon obscur foyer,
Un de ces doux amis qui nous aident à vivre,
Et nous font oublier.
Comme un sage modeste en son âme sereine
Cache de sa vertu le précieux trésor,
Il était sans parure et sur sa tranche à peine
Il avait un peu d’or.
Mais dans sa nudité quelle grâce infinie !
La sève de nos bois tarit en un moment,
Mais le baume sacré des livres du génie
Coule éternellement.
Que j’aimais celui-ci ! Sur mes pâles journées
Il jetait une égale et paisible lueur,
Et, talisman chéri de mes jeunes années,
Il dormait sur mon cœur.
Que de fois, dans l’ennui d’une heure sombre et dure,
Comme une fleur des champs qui commence à fleurir,
Le volume entr’ouvert de son tendre murmure
Est venu m’assoupir !
Dès que mon doigt touchait ses pages immortelles,
J’entendais s’élever mille douces rumeurs
Comme d’oiseaux charmants qui vont ouvrir leurs ailes
Et s’envoler ailleurs.
Il n’est plus ici-bas de ces livres magiques
Dont un mot prononcé tout bas par les devins
Évoquait dans la nuit des ombres fantastiques
Et des concerts divins.
Ces temps sont loin de nous, et le dernier des mages
A fermé pour jamais ces livres de l’enfer.
Notre froide raison sur les dernières pages
A mis le sceau de fer.
Seul, le poète encore a le don des miracles,
Et le monde nouveau que nous ouvrent ses mains
Par sa voix éclatante à d’augustes spectacles
Invite les humains.
Mais où donc est le mien, où retrouver ta trace,
Pauvre livre égaré dans la froide cité ?
Elle a bien des chanteurs, mais lequel a ta grâce
Et ta simplicité ?
Confident des désirs, des regrets du jeune âge,
Sous chacun de tes vers je laissais en passant
L’émotion première et la première image
D’un poème naissant.
De ces songes dorés une main étrangère
Va-t-elle dissiper l’harmonieux essaim,
Et le nom émouvant de celle qui m’est chère
S’effacer de ton sein ?
Nous t’avions là tous deux, elle et moi : sur sa tête,
Dans un jour expié d’ineffable bonheur,
J’avais fait ruisseler tous les vers du poète,
Chastes baisers du cœur.
De son noble regard sur le livre fidèle
En ces instants si courts les clartés avaient lui,
Et je sens, dans mon cœur, que quelque chose d’elle
M’abandonne aujourd’hui.
Rendez, rendez-le-moi : s’il vient reprendre encore
Sur le rayon désert sa place d’autrefois,
S’il m’est encore donné d’ouïr avec l’aurore
— Se réveiller sa voix,
Ce sera jour de fête en mon humble demeure ;
Jamais jalouse lèvre avec un son plus doux
N’aura dit à celui qui laissa passer l’heure :
Ingrat, d’où venez-vous ?
Ah ! déchiré, flétri, qu’importe ? S’il arrive.
L’ami que sur l’écueil les flots ont jeté nu,
Pour celui qui le pleure et l’attend sur la rive
Est toujours bienvenu.
Si vous me le rendez, qu’en vos coupes de joie
Sa muse verse encore les gouttes de son miel,
Et que dans le malheur sa pitié vous envoie
Son chant venu du ciel.
Mais si vous le gardez, que toutes ses pensées,
S’armant contre vous seul de mille dards vengeurs,
Vous fassent du récit de vos peines passées
De nouvelles douleurs !
Que le sceptique essor de sa chanson légère
Trouble d’amers soupçons chaque heure de vos jours,
Et vous force à douter s’il est sur cette terre
Des sincères amours !