L’heure de l’inspiration
Aimez-vous ce moment où la brise repose
Avec le bruit du jour par degrés endormi
Dû l’insecte léger ne reconnaît la rose
Qu’aux parfums qu’elle exhale, entr’ouverte à demi ?
Aimez-vous ce moment où, la tête inclinée,
Le laboureur pensif s’éloigne du vallon,
Et pour revoir encore l’œuvre de sa journée,
Se détourne, et sourit à son dernier sillon ?
Avant de dépouiller sa pourpre radieuse,
Le soleil un moment s’arrête dans les cieux,
Comme pour saluer la nuit majestueuse
Que ses reflets mourants parent de mille feux.
Les confuses rumeurs qui s’élèvent des plages
En passant par les airs semblent parfois des chants,
Ainsi que les grands noms, en traversant les âges,
A l’oreille de l’homme arrivent plus touchants.
C’est l’heure où, m’apportant ses leçons fugitives,
La Muse à mes côtés doucement vient s’asseoir,
Et m’enseigne à prêter, en mes veilles oisives,
Une forme vivante à mes rêves du soir.
A cette heure sacrée, à cette heure où mon âme
S’ouvre à toutes les voix qui lui viennent du ciel,
Et, dans un saint élan, mêle des mots de flamme
A l’hymne qui s’en va du monde à l’Éternel ;
Entre le ciel et moi nulle face mortelle !
Nulle, pas même toi dont le sein m’a conçu ;
Puis-je me souvenir, quand le maitre m’appelle,
Si des genoux humains, en naissant, m’ont reçu ?
A ces grands entretiens que nul ne m’accompagne !
Le souffle des vivants éteindrait le buisson :
Quand Moïse gravit la céleste montagne,
Aaron à l’écart s’assit dans le vallon.
D’ici la vie à peine est une ombre incertaine
Qui s’efface et se perd en un vague lointain,
Comme le chant plaintif qu’en franchissant la plaine
Mêle au chant du berger la voix du pèlerin.
Pour qui s’isole d’eux bien petits sont les hommes ;
Entre naître et mourir ils marchent au hasard,
Et l’on dirait parfois qu’en la nuit où nous sommes
Ils n’osent jusqu’au ciel élever leur regard.
L’homme n’est plus ce roi que l’Éden vit éclore,
Ce roi que du limon fît sortir Jehova ;
Il faut franchir les temps pour le revoir encore
Tel que Dieu l’avait fait quand il se reposa.
La honte a saisi l’homme et le suit d’âge en âge,
Et sans voile ici-bas il ne peut être vu,
Depuis que du figuier empruntant le feuillage,
Il s’enfuit, tout tremblant, parce qu’il était nu.
En vain, depuis ce jour, dans sa pensée altière,
Il a refait cent fois l’œuvre du Créateur ;
En vain à son image il a pétri la terre,
Il manque à son argile un souffle du Seigneur.
Mais si l’homme est déchu de sa grandeur suprême,
Sur la création ses pas pèsent en vain ;
Quand l’homme s’avilit, la nature est la même,
Et le soleil d’hier se lèvera demain.
La nature a toujours sa grandeur imposante,
Et, seule empreinte encore du nom du Dieu vivant,
Elle a gardé l’écho de cette voix puissante
Qui l’éveilla jadis dans le sein du néant.
En dépit des mortels elle restera belle,
Et surtout quand le soir, s’avançant dans les airs,
La présente aux regards de son chantre fidèle
Qui veille en attendant l’heure des saints concerts.