A Marie
Alors que je fuyais nos arides campagnes
Pour égarer mes pas au milieu des montagnes,
Chercher l’obscurité de leurs bois ténébreux,
Et franchir les hauteurs de leurs faîtes ombreux ;
Quand j’osais, ô Morven, m’élancer sur tes cimes ;
D’un œil inétonné mesurant tes abymes,
A leurs bords suspendu, penché sur les torrents
Qui, mugissant au fond des gouffres dévorants,
Et revomis par eux jusqu’au sein des nuages,
D’un éternel brouillard couronnaient nos rivages ;
Quand j’allais écouter ces formidables bruits ;
D’un savoir inutile ignorant les ennuis,
A la crainte étranger, fier, inculte et sauvage,
Ainsi que ces rochers où coulait mon jeune âge,
Dans un seul sentiment mon cœur les trouvait tous,
Marie, et vous savez s’il était plein de vous !
Ce tendre sentiment qui pénétrait mon âme
D’un charme si touchant, d’une si pure flamme,
Quel était-il pourtant ? L’amour peut-être ? Oh ! Non ;
N’ignorais-je donc pas alors jusqu’à son nom ?
Et d’ailleurs un enfant, dans sa simple innocence,
Du joug des passions connaît-il la puissance ?
D’où vient donc que mon cœur est encore agité
Par ces émotions qui l’avaient transporté,
Alors qu’environné de votre seule image,
Au-delà de ces monts que bornait le rivage,
Hors de cet horizon où finissait le mien,
Mes regards satisfaits n’apercevaient plus rien ?
J’aimais nos froids climats, je n’en voulais point d’autres ;
Car que m’y manquait-il ? Mes vœux étaient les vôtres :
Sans désirs, ô Marie, assis à vos genoux,
Mes pensers étaient purs, ils étaient tous en vous !
Ah ! Dans ces jours heureux, je m’en souviens encore,
Par le coq éveillé, debout avec l’aurore,
Sur les bords escarpés des rapides torrents
Je suivais d’un pas sûr mes lévriers errants.
Combien de fois alors ma poitrine brûlante
Fendit les flots glacés de la Dee écumante !
Que j’aimais écouter le murmure lointain
Des chants du montagnard et des bruits du matin !
Dès le soir, étendu sur mon lit de bruyère,
Le sommeil venait-il y fermer ma paupière,
Je vous devais encore des rêves de bonheur,
Et vous m’apparaissiez avec leur douce erreur.
Du pied des saints autels, si ma voix solitaire.
S’élevait vers le Dieu qui protège la terre,
Si j’appelais ses dons et ses faveurs sur nous,
Quand je priais pour moi, j’avais prié pour vous !
Ah ! Ces sommets glacés de ma sombre patrie,
Ces arides climats qu’embellissait Marie,
En les abandonnant, de mes illusions
J’ai vu s’évanouir les douces visions !
Elles ont disparu ces montagnes si belles,
Et ma jeunesse, hélas, a disparu comme elles !
Isolé sur la terre, au monde, à l’avenir,
Je ne tiens déjà plus que par le souvenir !
Fallait-il à des biens sans attraits, sans constance,
Sacrifier ainsi ma paisible existence ?
Ces tristes dignités dont je briguais l’honneur,
Que leur possession m’a coûté de bonheur !
Je devais préférer les jours de mon enfance !
Le temps a pu tromper leur naïve espérance,
Mais leur charme survit à ses efforts jaloux ;
Mon cœur, triste et glacé, vole encore près de vous !
Ai-je porté les yeux sur quelques monts sauvages
Dont les pics vont se perdre au milieu des nuages ;
Aux rochers de Cobleen, sur leur front désolé,
Avec mes souvenirs, soudain j’ai revolé ;
Que du brillant azur d’une prunelle humide,
A travers de longs cils s’échappe un feu timide,
Je songe à ce regard qui, dans les noirs hivers,
Comme un rayon des cieux éclairait nos déserts ;
D’une vierge, que voile une blanche parure,
Ai-je aperçu de loin la blonde chevelure ;
Sur votre cou charmant je crois revoir encor,
De vos cheveux flottants tomber les anneaux d’or :
Tout vous rappelle à moi. Mais ce divin sourire,
Ce front pur et céleste ou la candeur respire,
Ces yeux dont le regard plonge et pénètre en nous,
Marie, où les trouver quand on est loin de vous ?
Quelque jour cependant ne-puis-je aller encore
Epier sur nos monts le réveil de l’Aurore ?
Rien alors, oh ! Non, rien, n’aura changé pour eux ;
Ils seront la toujours, sous un ciel nébuleux,
Debout, enveloppés de leurs manteaux de neige.
Mais Marie, ah ! Marie, hélas ! La reverrai-je ?
Comme aux jours d’autrefois, reviendra-t-elle aussi
Ranimer d’un regard mon regard obscurci ?
Non, non, c’est pour jamais qu’elle a fui ma présence !
Adieu donc, vieux rochers qui pleurez son absence !
Adieu, sacré séjour où m’apparut un dieu !
Flots transparents et purs, onde limpide, adieu !
Sous les berceaux touffus de la forêt sauvage
Je n’irai plus chercher le repos et l’ombrage ;
L’exil dans ma patrie en serait-il plus doux ?
Ma patrie, ah ! Marie, elle était près de vous !