Complaincte d’une Dame surprinse nouvellement d’amour
Estce plaisir d’incertaine asseurance,
Contentement de crainctifve espérance ?
Estce douleur ou présente ou passée ?
Ce que je sens vient il de ma pensée,
De cueur forcé, ou désir vouluntaire ?
Seray je bien forte asses pour le taire ?
Me seroit il possible de le dire ?
En le disant, puis je servir ou nuyre
Au dangereux cours de ma passion,
Dedans la mer d’ardente affection
Ou je me suis sans y penser plongée ?
Seray je bien par parolle allégée,
Parlant à moy, de nul homme escoutée ?
Si la raison par les sens transportée
Dict plus ou moins qu’honnesteté ne veult,
Mais que la part, en disant, qui me deult,
Soit descouverte et à peu pres congneue,
Sage seray, et prudente tenue ;
Car je me veulx, sans me perdre, trouver,
Et sans espreuve, en moy seule esprouver,
Puis m’esprouvant, scavoir ce qui peult estre,
Que je congnois en moy sans le congnoistre.
Seroit ce amour ? Confesser je ne l’ose ;
Et si sens bien je ne scay quelle chose
Dedans mon cueur, qui de l’amour approche.
Si je luy fays toutesfoys ce reproche,
Il me dira qu’il a trop petit lieu,
Pour contenir les efforts d’ung tel Dieu,
Et que sus moy je cherche avoir partie,
Dont soit ma joye et ma douleur sortie.
Certes aussi recepvant son excuse,
Je dys que celle estrangement s’abuse,
Qui croit son cueur d’ung dard d’amour fiché ;
Car s’il estoit ung tant soit peu touché,
Incontinent sa personne mourroit,
Et en mourant, bien et mal cesseroit.