Un mot sur dorat

Aimer
Dorât, quelle folie!
Qu’a-t-il fait pour être illustré ?
De petits vers sans énergie,
Des romans sans philosophie,
Plus d’un drame décoloré.
Mainte insipide fantaisie
Au ton pédant, maniéré ;
Bagatelles, c’est démontré.
Qu’il est urgent que l’on oublie
Chez le
Français régénéré. »

C’en est fait : telle est la sentence
Qu’enregistrent tous nos journaux ;
Et de tous ces greffes banaux
Ainsi l’anathème se lance,
Que nos rimailleurs jouvenceaux,
Endoctrinés en conséquence,
Mettent
Dorât au rang des sots.
Pardon, censeurs petits et gros ;

Mais moi, j’aime en tout l’évidence ;
Et vous n’êtes que des échos,
Instruits et siffles en linots
Par l’envieuse intolérance.

Mais vous, célèbres directeurs
Du
Parnasse et de son domaine,
Décadaires dispensateurs
De la gloire contemporaine;
Certes, vous avez de l’esprit,
Du tact, des lumières suprêmes :
Nul sur ce point ne contredit ;
Car le public en est instruit
Trois fois chaque mois par vous-mêmes.

Poursuivez ; d’un poids de lauriers
Accablez-vous, vous et les vôtres,
Et chargez-en vos écoliers ;
Ils le rendront à leurs apôtres.
Dans le comité des auteurs
On ne se pousse comme ailleurs,
Qu’en s’épaulant les uns les autres.

Mais (retenez cet avis-là)
En portant les vivants aux nues,
Ne renversez pas les statues
Qu’à quelques morts on éleva. À l’asile où
Dorât repose,
Au sein de l’immortalité,
Cessez de disputer la rose
Dont le parfuma la beauté.
Railler qui ne peut se défendre
Est un trait qui me choque fort.
Et si
Dorât n’était pas mort.
Allez, il saurait vous le rendre.
Contre un escadron de rivaux,
Faiseurs de vers et de journaux,
Il avait ses répliques prêtes ;
Dans ses gaîtés par-ci, par-là,
On se souvient qu’il décocha
Des épigrammes pas si bêtes.

Ne disputons pas sur les goûts :
J’aime
Dorât ; que voulez-vous ?
Moi, je goûte assez sa manière
Leste, expéditive et légère.
Qui n’exclut pas le sentiment,
Son tour d’esprit un peu caustique,
Qui désola plus d’un pédant.
Ses petits vers qu’en badinant
Il épiçait de sel attique,
Et qui cachaient assez souvent
Un produit très philosophique
Sous l’écorce de l’agrément.

J’ai retenu de vos blasphèmes : «
De la nature il s’écarta. »
Voyons, qu’entendez-vous par là ?
Et vous entendez-vous vous-mêmes ?
Rigoristes trop absolus,
Dans votre amour pour la nature,
Prêchez-vous en littérature
Les dogmes de
Jansénius ?
C’est un zèle, je vous assure, À désoler le genre humain ;
Et c’est en père capucin
Défendre aux belles la parure.
Malgré le poids de votre arrêt.
Et votre austérité choquante,
Une muse en est plus piquante
Sous un petit chapeau coquet.

Prise qui veut les bouderies
D’un cœur profondément brisé,
Les lamentables bergeries.
Le céladonisme empesé;
Moi, bien ou mal organisé,
Je n’aime pas les élégies :
Dans l’amour je hais les langueurs,
Et j’abandonne aux tragédies
Le désespoir et les fureurs.

Vive une muse irrégulière

Qui papillonne sur les fleurs,
Sur un flageolet volontaire.
Chante l’amour et ses douceurs,
Ou sur un tapis de fougère,
Déplore gaîment ses malheurs !

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Par Armand Charlemagne

Il passa par l'Église, le Droit ex l'Armée, avant de prendre goût à la littérature. Il devint alors un poly-graphe fécond qui écrivit aussi bien des pièces de théâtre et des romans que de la poésie. On lira aussi d'Armand Charlemagne un «Hymne à l'Eternel» dans le Chansonnier révolutionnaire (n° 91).

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