Amour d’hiver

Armand Silvestre
par Armand Silvestre
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Prologue
Êtes-vous femme, êtes-vous ange ?

Ou votre nom mentit deux fois,

O charmeresse dont la voix

Tinte avec une grâce étrange ?
Vos yeux dont le bleu divin change

Comme celui des fleurs des bois

Jettent, dans les coeurs aux abois,

De crainte et d’espoir un mélange.
De tous je ne sais rien vraiment.

Peut être êtes-vous simplement,

Comme les autres, une femme.
Mais je vous cherche et je vous crains,

Tant vos airs doux et souverains

M’ont troublé jusqu’au fond de l’âme !
I
C’est au temps de la chrysanthème

Qui fleurit au seuil des hivers

Que l’amour cruel dont je je t’aime

En moi poussa des rameaux verts.
Il naquit, doux et solitaire,

A ces fleurs d’automne pareil

Qui, pour parer encor la terre

N’ont pas eu besoin de soleil.
Sans redouter les jours moroses

Qui font mourir les autres fleurs

Il durera plus que les roses

Aux douces mais frêles couleurs.
Et si, quelque jour, par caprice

Ton pied le foule, méprisé :

En même temps que son calice,

Tu sentiras mon coeur brisé.
***
Sentir seulement votre haleine

Passer comme un souffle de mai ;

En boire le flot parfumé

Sur votre lèvre, coupe pleine ;
Baiser sur la toile ou la laine

L’odeur de votre corps aimé ;

Sentir mon coeur longtemps fermé

Refleurir comme fait la plaine,
Sous le clair soleil de vos yeux.

C’est le rêve délicieux

Que vous m’avez donné, Madame.
Il m’a pris tout entier si bien,

Qu’hors vous ne désirant plus rien,

Pour le reste je n’ai plus d’âme.
***
Si mon coeur devient votre chose

Ce rien frêle et prêt à souffrir

Que la femme sous son doigt rose

Aime à meurtrir ;
Si tout entier je vous le livre,

Humble et tremblant de vous l’offrir,

Laissez-moi la force de vivre

Pour vous chérir.
Soyez douce ! assez de blessures

Ont bu mon sang sans le tarir :

Il ne saurait d’autres tortures

Jamais guérir.
Et, comme la fleur sous l’orage

Qui se brise sans se flétrir,

Il ne garde plus de courage

Que pour mourir !
***
Je vis dans une angoisse affreuse ;

Car je sens, sous ton pied vainqueur.

A ma blessure qui se creuse

Monter tout le sang de mon coeur.
Les ivresses dont tu me sèvres

M’étouffent à faire mourir.

Ma vie est pendue à tes lèvres

Comme un fruit mûr prêt à s’ouvrir.
Et le désir qui te réclame

Ne peut désormais s’apaiser

Que si, d’un trait, tu me bois l’âme

Tout entière dans un baiser !
***
De votre première toilette

Sur mon coeur porter un lambeau,

Et baiser chaque violette

Qui fleurissait votre chapeau ;
Près des reliques où se leurre

L’ivresse de mes yeux ravis,

Revivre éternellement l’heure,

L’heure charmante où je vous vis ;
Sur un de ces riens que peut-être

Vous accorderiez à mes voeux

Boire le parfum de votre être,

De vos seins et de vos cheveux ;
Bien que vous me soyez rebelle,

Me sentant à jamais soumis,

O la plus chère, ô la plus belle,

Ce rêve-là m’est bien permis !
***
Quel souvenir inconsolé

T’avait faite triste et pâlie ?

L’ombre de ta mélancolie

Flotte encor sur mon coeur troublé.
Un rêve s’en est-il allé ?

Ou bien quelque douce folie ?

Mais, dans ce monde tout s’oublie ;

Un regret est vile envolé !
Ta peine, ô chère créature,

A mis mon âme à la torture.

De tes soucis je suis jaloux.
Que n’écoutes-tu ma prière ?

Ne regarde plus en arrière.

Souris ! ton sourire est si doux !
***
Vous voir chaque jour, vous entendre

Et, plein de désirs insensés,

De votre pitié tout attendre ;

Est-ce assez ?
Effleurer seulement vos lèvres

De baisers furtifs et pressés ;

Vivre dans l’angoisse et les fièvres ;

Est-ce assez ?
Sentir se briser et renaître

Des espoirs que rien n’a lassés

Avoir un caprice pour maître ;

Est-ce assez ?
Consumer, comme une cinname,

Sur les chemins où vous passez,

Tous les purs encens de son âme ;

Est-ce assez ?
Ne plus vivre que dans le rêve

Où mon amour aux vols blessés

Sous vos pieds, tout sanglant, s’élève ;

Est-ce assez ?
Hélas ! puisqu’à vous, sans partage,

Mes moindres voeux sont adressés,

Si vous ne voulez davantage,

C’est assez !
***
Je porte sur moi ton image

Ainsi qu’autrefois le Roi Mage

Portait les parfums précieux,

L’encens, la myrrhe, la cinname

Et je sens brûler dans mon âme

Le désir infini des cieux.
Un rêve divin m’environne :

Ta beauté sous mes yeux rayonne

Comme le seuil d’un Paradis.

Devant elle mon genou plie

Et, tremblant, en elle j’oublie

Les jours malheureux et maudits.
C’est bien toi, c’est ta noble face,

Tes yeux dont le regard efface

Tout rayon et toute clarté !

C’est toi, ma lumière et ma vie,

La splendeur qu’avait poursuivie

Mon rêve toujours indompté
Salut, ô brune chevelure,

Chères lèvres dont la brûlure

Descend jusqu’au fond de mon coeur,

Poitrine auguste dont l’haleine

Verse, comme une couple pleine,

Dans ma gorge un poison vainqueur !
***
Quand j’ai lu dans tes yeux trompeurs

Les mensonges de l’espérance,’

Je vais le coeur plein de souffrance

Et plein de muettes peurs.
M’aimeras-tu jamais ? je doute.

Car, dans ta cruelle beauté,

Je ne sais quoi que je redoute

M’emplit de mon indignité.
Devant ta splendeur qui me brave,

Je ne sens plus en moi, vraiment,

Que la lâcheté de l’esclave

Et non la fierté de l’amant !
Je voudrais sur mon coeur qui saigne

Poser tes pieds nus et mourir

– Sans que nulle sache et me plaigne, –

Du mal que tu ne veux guérir.
***
Je vis sous le charme mortel

De tes yeux et de ton sourire

Et sur moi leur pouvoir est tel

Que je ne le saurais décrire-.

– Je vis sous un charme mortel !
En moi ton image est entrée

Comme fait un couteau vainqueur ;

Jusqu’au plus profond de mon coeur

Hélas ! je la sens pénétrée !

– En moi ton image est entrée !
Je souffre ! et j’aime la douleur

Qui me vient de cette blessure.

Elle s’ouvrit, sous ta main sûre,

Rouge comme une rose en fleur.

– Je souffre ! et j’aime ma douleur !
Mon sang qui coule goutte à goutte

Porte mon âme sous tes pas.

De toi ne la repousse pas,

Alors qu’elle m’aura fui toute-

-Car mon sang coule goutte à goutte !
Car elle est tienne maintenant,

Cette âme fervente et troublée

Par tes yeux divins affolée

Et du reste se détournant.

– Mon âme est tienne maintenant !
***
Mes vers dits par ta voix chantent à mon oreille

Dans un rythme plus doux où tinte mon amour.

L’écho dont le refrain endort la fin du jour

Mêle à ses bruits mourants une grâce pareille.
Ce qui fut une pensée et n’est plus qu’un regret

Se réveille et s’anime en passant sur ta bouche ;

Telle une fée apporte à tout ce qu’elle touche

Le rajeunissement et fleurit la forêt.
C’est que la source d’or de toute poésie

Réside en ta beauté comme en un lieu divin,

C’est que mon rêve obscur serait muet et vain

Si pour l’illuminer Dieu ne t’avait choisie !
***
Dans quelle fleur se cache-t-il

Le parfum divin de ton être,

Si capiteux et si subtil

Que jusqu’à l’âme il me pénètre ?
– Dans quelle fleur se cache-t-il ?

Quelle rose au coeur diaphane.

Ou quel lys du jardin des Cieux

Qu’aucun souffle jamais ne fane

Garde ce souffle précieux ?
– Quelle rose au coeur diaphane ?

Il m’en reste un enivrement

Même après que je t’ai quittée.

Chère odeur de ton corps charmant !

Avec moi t’ayant emportée,

Il m’ en reste un enivrement !
***
Avec des frissons inconnus

Mes doigts ont gardé la brûlure

Qu’ils ont prise à la chevelure,

Qu’ils ont prise à tes beaux seins nus.
Souvenir adorable et vain !

J’y pourrai longtemps reconnaître

L’odeur exquise de ton être,

Le parfum de ton corps divin.
Et, comme une fleur dont mon front

Cache l’invisible fantôme,

J’emporte avec moi cet arôme

Dont les ivresses me tueront !
***
Ta beauté m’a vaincu parce qu’elle est pareille

A celle que jadis adora l’art païen ;

Je cherche sur ton front le cep thessalien

Mariant aux bandeaux la pourpre de la treille.
A les bras où l’éclat de tant de lys sommeille

Mon rêve attache encor le péplum ancien ;

Je voudrais, pour parer ton front patricien,

Un lourd collier que ferme une pierre vermeille.
Comme autrefois Diane ou Vénus Astarté

Je permettrais que l’air baisât la nudité

De tes cuisses de neige à la blancheur insigne
Telle tu brillerais à la face des Cieux,

Et, sous tes pieds foulant des lapis précieux,

Je mêlerais ma lèvre au blanc duvet du cygne !
***
Mes désirs, comme un vol de cygnes !

Montent dans l’air où vous passez

Et viennent s’abattre, lassés,

A vos pieds aux blancheurs insignes.
Puis, suivant la splendeur des lignes,

Le long de vos jambes dressés,

Ils les caressent, enlacés

Comme des serpents ou des vignes.
Iront-ils jusque sous vos seins

Dormir les sommeils assassins

Où tout se confond dans l’extase ?
Ou mourront-ils plus bas, pareils

Aux fleurs que brûlent les soleils

Sur les bords d’agate d’un vase ?
***
Lorsque le printemps reviendra,

Sonnant l’oubli des jours moroses

Pour toi, ce ne sont pas des roses

Qu’au jardin ma main cueillera.
Mais, pour rappeler la toilette

Du premier jour jour où je te vis

Et qui charma mes yeux ravis,

Je chercherai la violette.
C’est la seule fleur que je veux

Pour te revoir toute pareille ;

El, comme la grappe à la treille,

Je la pendrai dans les cheveux !
***
Si longtemps que je t’aimerai,

Tout me sera doux dans la vie

Mon âme à tes yeux asservie

S’enivre d’un mal adoré.
Et telle est l’immense tendresse

Dont m’emplit ton être vainqueur,

Qu’en toi, tout m’est une caresse,

Tout est un charme pour mon coeur !
Un sourire, un mot de ta bouche.

Un regard, invisible aimant,

Bien moins- un rien que ta main touche

Tout est pour moi ravissement !
***
L’amour qui me ravit tour à tour et m’effare

De flux et de reflux trouble mon coeur amer.

Ta Beauté, devant moi, s’éclaira comme un phare

Et brille sur mes jours comme un feu sur la mer.
Dans la Nuit où je vais, celle flamme allumée

Tient sur elle fixés mes regards éperdus.

Montre-t-elle un abime à ma route charmée ?

Est-ce une étoile au seuil des Paradis perdus ?
Qu’elle annonce pour moi le salut ou le gouffre,

J’accours à sa clarté et te livre mes jours,

Astre doux et charmant, femme par qui je souffre,

Perdu sur l’océan des dernières amours !
***
Je me sens oublié sans oublier moi-même :

C’est un injuste sort que subit mon amour.

Cruel est le souci non payé de retour ;

On devrait cependant être aimé quand on aime !
Loin de tes yeux charmeurs mon angoisse est extrême.

Comme un proscrit je doute et j’attends tour à tour,

Et je regrette un bien qui n’a duré qu’un jour,

Comme si, dans mon coeur, tintait l’adieu suprême.
Je ne me croyais pas si follement épris

Que de sentir mon coeur brisé par ton mépris ;

Et n’avais pas le droit de souffrir de la sorte,
N’ayant rien eu de toi qu’un semblant de pitié.

Aussi je pleure, avec ta fragile amitié,

Moins un bonheur défunt qu’une espérance morte !
***
Mon coeur est plein de Toi comme une coupe d’or

Pleine d’un vin qui grise.

Si jamais doit finir le Rêve qui l’endort,

Dieu veuille qu’il se brise !

– Mon coeur est plein de Toi comme une coupe d’or !
Mon coeur est sous tes pieds comme une herbe foulée

Que mai va refleurir.

Si jamais loin de lui doit fuir ta route ailée,

Puisse-t-il se flétrir !

– Mon coeur est sous tes pieds comme l’herbe foulée !
Mon coeur est dans tes mains comme un oiseau jeté

Par l’aube en ta demeure.

Ah ! ne lui rends jamais sa triste liberté

Si tu ne veux qu’il meure !

– Mon coeur est dans tes mains comme un oiseau jeté !
II
J’ignorais tout de Toi, ne connaissant encore

Que la douce fierté dont ton front se décore

Et de tes yeux divins la sereine clarté.

Mais aujourd’hui je sais jusqu’au bout le poème

De ton corps enchanté. Voilà pourquoi je t’aime

Avec tes sens nouveaux qu’éveilla ta Beauté !
J’ignorais tout de Toi, ne connaissant encore

Que le baiser furtif dont ton rire sonore

Effaçait la douceur sur mes lèvres en feu.

Mais aujourd’hui je sais la caresse suprême

Que ferment tes bras nus ! – Voilà pourquoi je t’aime

D’un amour sans mesure et plus qu’on n’aime un Dieu.
***
Il me semble parfois que je t’ai reconnue,

Tant tu sembles pareille à mon Rêve immortel.

Tu m’apparus jadis sur quelque antique autel,

Où rayonnait Vénus éblouissante et nue.
Des cieux doux et lointains d’où mon âme est venue

Tu redescends ainsi qu’un astre fraternel,

Fantôme radieux, souvenir éternel

Des chères visions écloses sous la nue !
Tu m’as rendu vivant le type radieux

De la femme pareille à l’image des Dieux,

Et que doit adorer quiconque ne blasphème.
Mon premier idéal s’incarne en ta Beauté.

Dès longtemps j’ai connu ta grâce et ta fierté.

Et, depuis que j’aimais, c’est Toi seule que j’aime !
***
Il n’est de jours heureux que ceux où je te vois.

Tous les autres pourraient s’effacer de ma vie,

Sans que d’un seul regret leur lenteur fût suivie

Vivre c’est te revoir ! C’est entendre la voix !
C’est respirer, plus doux que que le souffle des bois,

Le souffle de ta lèvre où mon âme est ravie ;

C’est mourir lentement sous l’implacable envie

De poser les pieds nus sur mon coeur aux abois.
Tout le reste n’est plus que mensonge et fumée.

L’univers se résume en Toi, ma bien-aimée.

Ma terre est sur ta bouche et mon ciel dans tes yeux !
En Toi seule commence et finit tout mon rêve.

Ton regard me le rend ; ton sourire l’achève,

Et, dans les bras, je sens en moi l’âme des Dieux !
***
Quand tu passes, ma bien-aimée,

L’air est plus doux à mes poumons

Et la route est comme charmée.
Ma bien-aimée,
Aimons !

Quand tu souris, ma bien-aimée,

Les bois, les fleuves et les monts,

Toute la Terre est embaumée.
Ma bien-aimée,
Aimons !

Quand tu chantes, ma bien-aimée,

Oubliant fanges et limons,

Mon âme s’élève, pâmée.
Ma bien-aimée,

Aimons !
***
Sous la treille où la clématite

Disperse ses flèches d’argent,

En avril, par un ciel changeant,

Nous irons tous deux, ma petite.
La chanson qui descend des nids,

Le parfum qui monte des roses

Enlaceront nos coeurs moroses

Dans des bercements infinis.
Et, peut-être, sous le ciel bleu

Où tout est tendresse, où tout aime,

Tu sentiras enfin, toi-même,

Le désir de m’aimer un peu !
***
Je te revois enfant, – comme tu m’as conté, –

A la fleur des pavots, comme des fleurs pareilles,

Mêlant le rouge éclat de tes lèvres vermeilles,

Brune dans l’or des blés qu’avait jaunis l’été.
Je te revois enfant, dans la folle gaîté

Des vendanges, buvant le sang tiède des treilles,

Et puis, l’hiver venu, durant les longues veilles,

Réveillant le foyer de ton rire argenté.
Je recueille avec toi, comme des fleurs fanées,

Les souvenirs charmants de tes jeunes années

Et, dans mon coeur pieux, je les garde à mon tour.
Plus loin que le présent remonte ma tendresse,

Et j’envie au passé jusques à la caresse

Dont t’entourait jadis le paternel amour.
***
Que l’heure est vite passée

Où dans mes bras te penchant

Tu berces de ton doux chaut

Le rêve de ma pensée !
Avec les mots que tu dis

Mon âme flotte à ta bouche

Et ton souffle qui la touche

La transporte au paradis.
O les jours délicieux

Qu’ainsi tu m’as fait connaître !

Toi qui gardes dans ton être

Le charme infini des cieux !
***
L’hiver de cet an est si doux

Qu’on y voit mainte fleur renaître,

Ainsi qu’au printemps, et peut-être,

O ma mignonne est-ce pour nous.
C’est pour que sous les cieux moroses

Où toi seule encore es clarté,

Je puisse entourer ta beauté

De violettes et de roses.
Un souffle suspend, dans les airs,

Le vol de la neige et du givre

Afin de laisser pour toi vivre

Le charme des jardins déserts.
Mais l’éclat que portent en elles

Ces fleurs est prompt à se flétrir.

Mon âme, pour te les offrir,

Je voudrais des fleurs éternelles !
***
Tu ne sauras jamais de quelle amour profonde

T’aime ce triste coeur que je croyais fermé,

Trépassé que tes yeux divins ont ranimé,

Rouvrant sur lui l’azur et la lumière blonde.
Ta beauté comme une aube y fait surgir un monde

Étincelant et clair, sous un ciel enflammé.

Telle on dit que Vénus sur l’univers charmé

Resplendit en sortant des bras amers de l’onde.
Je me croyais heureux, ayant enfin dompté

Le désir qui nous jette aux pieds de la beauté

Et nous met dans le coeur la torture suprême.
J’étais fou ! rien ne vaut cet immortel tourment

Qui me vient de ton Être et cruel et charmant.

Si je souffre pour toi qu’importe : du moins j’aime !
***
Ce n’est pas en amant seulement que je t’aime.

C’est plus profondément et d’un coeur mieux navré.

Car ce qui me ravit dans ton être adoré,

C’est mieux que ta beauté divine, c’est toi-même ?
Ce n’est plus seulement l’âpre et rude désir

Qui m’enchaîne à tes pieds, ma belle souveraine ;

Une pensée en moi plus tendre et plus sereine

Réclame mieux de toi qu’une heure de plaisir.
Bien d’autres t’ont aimée, et mon amour en gronde,

Bien d’autres t’aimeront qui vont venir après.

Pour te garder à moi, chère âme, je voudrais

Mieux t’aimer à moi seul que le reste du monde !

III
TU l’as bien dit : je ne sais pas l’aimer.

Tout ce qu’un coeur peut enfermer d’ivresse,

Cacher de pleurs et rêver de caresses,

N’est pas encor digne te charmer.

– Tu l’as bien dit : je ne sais pas t’aimer !
Tu l’as bien dit : mes tendresses sont vaines,

A moi, vaincu que ta grâce a dompté.

Qui ne sais rien qu’adorer ta beauté

Et te donner tout le sang de mes veines.

-Tu l’as bien dit : mes tendresses sont vaines !
Tu l’as bien dit : ce n’est pas de l’amour,

Le feu qui, seul, se consume dans l’âme

Sans allumer ailleurs une autre flamme

Et sans brûler une autre âme à son tour.

– Tu l’as bien dit : ce n’est pas de l’amour !
***
Pourquoi m’avoir donné ce que tu m’as repris ?

Cest d’un coeur moins léger et plus sûr de soi-même

Qu’on devrait seulement dire ces mois : je t’aime !

Les plus sacrés de tous à qui connaît leur prix.
Qui les traite en ce monde avec un tel mépris

Est infâme et qui ment, en les disant, blasphème.

Pourquoi m’avoir donné cette ivresse suprême

Pour l’arracher après de mon coeur trop épris ?
Va ! je ne t’en veux pas. D’un bonheur éphémère

Je porte le regret et la mémoire amère

D’un coeur ferme et que rien ne peut faire ployer.
Qu’importe qu’en saignant ma blessure se creuse !

Je ne veux rien de toi que que te savoir heureuse

Et ne demande rien au temps que d’oublier !
***
Tu ne savais donc pas comme je t’eusse aimée,

De quel culte fervent j’eusse adoré tes pas,

Dans quel monde d’amour je t’aurais enfermée !

Non ! pour m’avoir trahi tu ne le savais pas !
Cruelle, que veux-tu maintenant queque je fasse

De ce torrent d’amour qui me brûle le coeur

Tout le sang qu’il contient remonte à la surface

Et crie au ciel ton nom implacable et vainqueur !
Le vide est devant moi : c’est une chose affreuse

Qu’un rêve qui vous prend et qui vous brise après.

Pour meurtrir à ce point mon âme douloureuse,

Tu ne sais pas encor comme je t’aimerais !
***
Comme d’un regard, comme d’un sourire

Tu me reprends l’âme et sais me charmer !

O cruel pouvoir qu’on ne peut décrire !

Ne pouvant plus croire il me faut aimer !
J’avais consumé mon sang dans les fièvres !

Malgré tes rigueurs et tes abandons,

Sur un mot de toi je cours à tes lèvres

Y boire le vin lâche des pardons !
O femme, ta force est notre faiblesse.

Heureux qui, sentant monter sa rancoeur

Cesse de baiser la main qui le blesse

Et de tes mépris protège son coeur !
***
Ne souffre plus ! Tu vois que je suis résigné.

Ma peine cependant est égale à la tienne.

Car il n’est, dans mon coeur, rien qui ne t’appartienne

Et le sang que que tu perds c’est moi qui l’ai saigné !
Ne souffre plus. Ton mal n’est pas sans espérance.

Tu ne saurais aimer à moins qu’on t’aime aussi.

Mais moi qui t’aime, hélas ! sans retour ni merci,

Mon deuil est plus amer et pire ma souffrance !
Ne souffre plus ! Espère et regarde ces fleurs.

Le printemps t’y sourit, même en ces jours moroses.

Le destin qui te fit belle comme ces roses

Comme elles te fera renaître sous les pleurs !
***
Et comment serais-je rebelle

A ses regrets, à ses serments ?

Double secret de mes tourments :

Je suis lâche autant qu’elle est belle !
Mais ne crois pas, au moins, cruelle

Que je ne sache que tu mens.

O les misérables amants !

Oh ! la trahison mutuelle !
En te revenant, je le sais,

Je cours à des maux insensés.

Tu le veux ! j’obéis. Qu’importe !
Puisqu’il faut à ton pied vainqueur,

Pour le meurtrir encore, un coeur,

Prends le mien, je te le rapporte !
***
Peu m’importe que de la nue

Le voile soit triste ou joyeux.

Depuis que tu m’es revenue,

Je n’ai plus regardé les cieux
Tes yeux d’azur restent les mêmes :

Vers eux seuls montent mes souhaits.

Mon ciel est joyeux si tu m’aimes,

Il est triste si tu me hais.
Dans l’arche, avec toi, ma colombe,

Rentrent les espoirs palpitants-

Qu’importe que la neige tombe

Si, dans mon coeur, c’est le printemps !
***
J’ai respiré, durant une heure,

Le parfum des beaux jours perdus.

Car ces biens, que tout bas je pleure

Quelques instants m’étaient rendus.
***
Ah ! du moins, pour toi je veux être

L’ami que cherchera ta main,

Qui t’empêchera de connaître

La lassitude du chemin.
Cet ami qu’on dédaigne à l’heure

Où tout est comme un printemps vert,

Mais qu’on retrouve, quand on pleure,

Fidèle et le coeur grand ouvert.
Sois heureuse ! que tout soit charmes

Pour la jeunesse et ta beauté.

Mais, du moins, garde-moi tes larmes :

Mon amour l’a bien mérité !
Épilogue
Nous nous disions : quand le printemps

Ramènera dans son haleine

La splendeur des lys éclatants

Et l’allégresse de la plaine.
O printemps qui ne reviens pas !

Quand du bout d’azur de ton aile

Tu réveilleras sur nos pas

L’âme des choses fraternelles
Sous les bercements infinis

Des feuillages que tu caresses,

Quand, de la tendresse des nids

L’écho doublera nos tendresses.
Quand passera sur notre front

Le frisson de tes palmes vertes,

Quand nos baisers s’embaumeront

Au calice des fleurs ouvertes
Étant de ces coeurs que ravit

Tout ce que ton éclat décore,

Dans l’amour de tout ce qui vit,

Nous nous aimerons mieux encore !
Nous nous mêlerons, radieux,

A ta grande fête, ô notre hôte,

Sentant en nous l’âme des Dieux

Hélas ! à qui de nous la faute ?
Dans un souvenir sans remords

Je compte les heures trop brèves.

– Le printemps nait ! l’amour est mort.

Ce que c’est que nos pauvres rêves !

Armand Silvestre

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