Aux poètes

Arsène Houssaye
par Arsène Houssaye
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Dédié à Jean de La Fontaine.

Quand la faux va crier dans les foins et les seigles,
Fuyez, poètes ennuyés ;
Libres de tout souci, prenez le vol des aigles ;
Fuyez l’autre Babel, fuyez !
Allez vous retremper dans quelque solitude,
Au bord du bois silencieux,
Où vous retrouverez la Muse de l’Etude
Cherchant l’infini dans les Cieux.

Théocrite et Virgile ont soulevé la gerbe ;
S’ils chantaient la belle saison,
C’était cheveux au vent, les pieds cachés dans l’herbe,
L’âme perdue à l’horizon.
La Fontaine suivait la Fable, sa compagne,
Les pieds dans les pleurs du matin,
Dans quelque coin touffu de l’agreste Champagne,
Par les bois où fleurit le thym.

Jean-Jacque étudiait, allant à l’aventure,
À travers vallons et forêts ;
Si toujours dans son livre on sent bien la nature,
C’est qu’il en chercha les secrets.
Voltaire s’exilait pour vivre en solitaire ;
Chez lui le soc fut en honneur,
Et Buffon à Ferney surprit le vieux Voltaire
Portant la faux du moissonneur.

Diderot travaillait pour la grande famille,
À l’ombre fraîche des halliers ;
Boileau, Boileau lui-même, avait une charmille,
Des arbres et des espaliers.
Poètes essoufflés, si vous voulez renaître,
Si la ruche manque de miel,
Allez donc voir ailleurs que par votre fenêtre
Ce qui se passe sous le ciel.

Que faites-vous là-bas, insensés que vous êtes ?
Enfumés comme des Lapons,
Vous contemplez le monde en lisant les gazettes,
Les astres en passant les ponts.
Vous cherchez, dites-vous, l’Amour et la Science ;
Vous ne trouvez que tourbillons.
L’Amour ! le cherchez-vous dans son insouciance ?
Courez les prés et les sillons.

La Science ? pour vous la Science est amère,
C’est un fruit que Dieu nous défend ;
C’est la mort, ou plutôt c’est la mauvaise mère
Qui n’allaite pas son enfant !
Vous vendez les faveurs de la fille d’Homère,
La blanche Muse aux tresses d’or ;
Vous avez profané cette sainte chimère,
Qui, malgré vous, nous aime encor.

Vous vous faites marchands et vous ouvrez boutique :
Pour vous l’art n’est plus qu’un état ;
Si Dieu vous demandait pour lui-même un cantique,
Il faudrait qu’il vous l’achetât !
Vous voulez des palais où l’esprit s’abandonne
À tout ce qui brille ici-bas ;
Mais le luxe du cœur, ce que le ciel vous donne,
Aveugles, vous n’en voulez pas !

Corneille, le grand maître aux scènes immortelles,
Aimait le toit humble et béni,
La fenêtre où l’hiver seul suspend des dentelles,
Où le printemps apporte un nid.
L’art succombe ; l’artiste est à peine un manœuvre
Qui sans haleine va toujours ;
La petite monnaie est l’âme de toute œuvre
Qui se fait en ces tristes jours.

Que deviennent les fleurs de ce terroir si riche
Qui se déroulait sous nos pas ?
Hélas ! depuis vingt ans c’est en vain qu’on défriche,
Les épis ne mûriront pas.
Fuyez ce vain renom qui se paye à la ligne,
Allez reposer votre esprit
Au bord de quelque bois, au pied de quelque vigne,
Où Zeus, le grand poète, écrit.

Créateurs effrénés, du Créateur suprême
Que ne suivez-vous les leçons ?
Ce n’est pas en un jour qu’il finit le poème
Des vendanges et des moissons.
Cybèle aux blonds cheveux, notre mère féconde,
Sème ses trésors à pas lents ;
Elle aime à s’appuyer, pour traverser le monde,
Sur le cou des bœufs indolents.

Arsène Houssaye

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