La paix de l’hiver
À Daniel Fouquet.
Dans l’horizon d’hiver, vaste, uniforme et vide,
Le ciel était d’azur, l’air paisible et limpide ;
La neige étincelait sur le sol et les arbres,
En cristaux infinis, plus blancs que ceux des marbres
Qui viennent d’être ouverts par le choc du marteau ;
Nul cri, nul bruit de vent, de ramure, ni d’eau.
Un immense silence avait rempli l’espace ;
Tout était suspendu ; tout ce qui vit et passe,
Bouge, chante, frémit, s’inquiète, désire,
Comme les mouvements aux veines du porphyre,
Semblait être fixé pour le repos final,
Dans un indestructible et lucide cristal,
Mais que tout était beau ! les forfaits de la vie,
Les douleurs dont jamais elle n’est assouvie,
Son exécrable jeu de poursuite et de crainte,
La rumeur de combat dont la terre est étreinte,
Tout le mauvais effort semblait être arrêté,
Sous ce ciel pur et froid comme l’éternité.
Dans ce puissant sommeil de neiges et de givre,
Mon cœur, lourd de chagrin, était surpris de vivre ;
Cette impassible paix, semblable à la sagesse
Du Monde, lui faisait sentir plus sa détresse,
Car seul il palpitait et pensait souffrir seul
Dans cet universel et glorieux linceul.
Et mon cœur, en songeant que crime et que souffrance
Sont les couleurs du fleuve obscur de l’existence,
Se dit : « La blanche Mort seule est pure et sereine !
Sera-t-elle jamais la pitoyable reine
D’un univers soustrait aux jours et aux instants ?
Quand se terminera l’angoisse des printemps ? »
Mais, par dessus le front blême d’une colline,
Dans la clarté de l’air, si froide et cristalline
Que des pleurs n’auraient pu naître en sa sécheresse,
Montant comme un présage et comme une promesse,
Et s’emparant du ciel par son éclat accru,
Le grand globe gelé de la lune apparut !