Les Folles

Si tu m’avais connu quand j’étais jeune et belle

Y a seul’ment cinq six ans, t’aurais sauté en l’air

Je peux dir’ que j’fauchais mon oseille à la pelle

L’amour c’est un pactole mais faut savoir le faire

J’ai fait mes premiers pas dans l’île de la Cité

J’avais dans les treize ans, je n’ connaissais personne

La chance m’a fait croiser le cocu d’une baronne

Et ce qui l’a flingué, c’est ma féminité.
À dix-sept ans, j’avais quatre amants, cinq voitures

Pour avoir du pognon, j’avais qu’à l’ver les cils

Mais ce qu’il faut trouver, c’est des liaisons qui durent

Après, ça va tout seul, on a la vie facile…

J’étais connu partout, j’étais le roi des plages,

Tu peux mêm’ pas savoir comme j’étais beau tout nu

Maint’nant j’ fais boudiné… Qu’est-ce que tu veux, c’est l’âge

T’aurais pas résisté, si tu m’avais connu.
Au fond, c’est la Patrie qu’a brisé ma carrière

J’étais avec un vieux, milliardaire, à Capri

J’me suis r’trouvé sans un, dix-huit mois militaire

Avec des gens vulgaires… C’était pas l’même esprit !

Quand je suis arrivé, le soir, à la chambrée

Me fair’ beaucoup d’amis, moi j’demandais pas mieux.

I’ m’ont traité de tout, j’en étais boulversée

Tout ça pasque j’avais du rimmel sur les yeux.
Tu sais, j’ai toujours eu l’épiderme fragile

Faut que j’ mette de la crème, sinon je suis fripé

Fallait qu’ je l’ fasse en douce, i’m’laissaient pas tranquille

Un jour, j’en pouvais plus, j’les aurais bien griffés.

J’étais tout blond dans l’temps, blond doré, couleur paille

T’aurais dit Jean Marais dans l’Éternel Retour

I’m’ont tondu, rasé… C’est malin comm’ trouvaille !

Attaché sur une chaise au beau milieu d’la cour.
J’ai dit « pisque c’est ça, fini la gentillesse »

J’ai vampé l’colonel et j’l’ai tout compromis !

Il m’écrivait des lettres où qu’i m’parlait d’mes fesses

On a dû le déplacer, d’ailleurs, pis moi aussi.

Cinq ans d’Afrique du Nord, j’ai fait ça, c’était chouette !

D’abord à la Légion, ensuite à la Casbah

J’dansais dans un clandé, on m’appelait Mistinguett

Si j’avais tout le pognon que j’ai gagné là-bas.
Seul’ment c’était trop beau, trop beau pour que ça dure

J’ai dû quitter tout ça rapport aux évèn’ments

Et puis voilà voilà… J’suis chez Madame Arthur

Bien sûr c’est pas l’Pérou, mais j’vis correctement

Mais tu vois c’qui m’ennuie, c’est qu’cà soye à Pigalle

Pasque j’aime pas l’quartier, je peux pas le supporter

Les putains je m’en fous quand ell’font pas scandale

Mais y’a vraiment trop de flics, et pis c’est plein d’pédés.

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Bernard Dimey Apprenti Poète

Par Bernard Dimey

Bernard Dimey, né Bernard Georges Lucide Dimey le 16 juillet 1931 à Nogent-en-Bassigny et mort le 1ᵉʳ juillet 1981 dans le 18ᵉ arrondissement de Paris, est un poète, auteur de chansons et dialoguiste français.

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Je suis un pâle enfant du vieux Paris…

L’écoulement de tant de vie signifié