Les Boubous
Oh ces négresses que l’on rencontre dans les environs du village nègre chez les trafiquants qui aunent la percale de traite
Aucune femme au monde ne possède cette distinction cette noblesse cette démarche cette allure ce port cette élégance cette nonchalance ce raffinement cette propreté
cette hygiène cette santé cet optimisme cette inconscience cette jeunesse ce goût
Ni l’aristocrate anglaise le matin à
Hydepark
Ni l’Espagnole qui se promène le dimanche soir
Ni la belle
Romaine du
Pincio
Ni les plus belles paysannes de
Hongrie ou d’Arménie
Ni la princesse russe raffinée qui passait autrefois en
traîneau sur les quais de la
Neva
Ni la
Chinoise d’un bateau de fleurs
Ni les belles dactylos de
New-York
Ni même la plus parisienne des
Parisiennes
Fasse
Dieu que durant toute ma vie ces quelques formes
entrevues se baladent dans mon cerveau
Chaque mèche de leurs cheveux est une petite tresse de
la même longueur ointe peinte lustrée
Sur le sommet de la tête elles portent un petit ornement
de cuir ou d’ivoire qui est maintenu par des fils de
soie colorés ou des chaînettes de perles vives
Cène coiffure représente des mois de travail et toute leur
vie se passe à la faire et à la refaire
Des rangs de piécettes d’or percent le cartilage des
oreilles
Certaines ont des incisions colorées dans le visage sous
les yeux et dans le cou et toutes se maquillent avec
un art prodigieux
Leurs mains sont recouvertes de bagues et de bracelets
et toutes ont les ongles peints ainsi que la paume de
la main
De lourds bracelets d’argent sonnent à leurs chevilles et
les doigts de pieds sont bagués
Le talon est peint en bleu
Elles s’habillent de boubous de différentes longueurs
qu’elles portent les uns par-dessus les autres ils sont
tous d’impression de couleur et de broderies variées
elles arrivent à composer un ensemble inouï d’un goût
très sûr où l’orangé le bleu l’or ou le blanc dominent
Elles portent aussi des ceintures et de lourds grigris
D’autres plusieurs turbans célestes
Leur bien le plus précieux est leur dentition impeccable
et qu’elles astiquent comme on entretient les cuivres
d’un yacht de luxe
Leur démarche tient également d’un fin voilier
Mais rien ne peut dire les proportions souples de leur
corps ou exprimer la nonchalance réfléchie de leur
allure
Blaise Cendrars