Printemps
Le printemps canadien a une vigueur et une puissance que l’on ne trouve dans aucun autre pays du monde
Sous la couche épaisse des neiges et des glaces
Soudainement
La généreuse nature
Touffes de violettes blanches bleues et roses
Orchidées tournesols lis tigrés
Dans les vénérables avenues d’érables de frênes noirs et de bouleaux
Les oiseaux volent et chantent
Dans les taillis recouverts de bourgeons et de pousses neuves et tendres
Le gai soleil est couleur réglisse
En bordure de la route s’étendent sur une longueur de plus de cinq milles les bois et les cultures
C’est un des plus vastes domaines du distria de
Winnipeg
Au milieu s’élève une ferme solidement construite en pierres de taille et qui a des allures de gentilhommière
Cest là que vit mon bon ami
Coulon
Levé avant le jour il chevauche de ferme en ferme monté
sur une haute jument isabelle
Les pattes de son bonnet de peau de lièvre flottent sur
ses épaules Œil noir et sourcils broussailleux
Tout guilleret
La pipe sur le menton
La nuit est brumeuse et froide
Un furieux vent d’ouest fait gémir les sapins élastiques
et les mélèzes
Une petite lueur va s’élargissant
Un brasier crépite
L’incendie qui couvait dévore les buissons et les brindilles
Le vent tumultueux apporte des bouquets d’arbres
résineux
Coup sur coup d’immenses torches flambent
L’incendie tourne l’horizon avec une imposante lenteur
Troncs blancs et troncs noirs s’ensanglantent
Dôme de fumée chocolat d’où un million d’étincelles
de flammèches jaillissent en tournoyant très haut et
très bas
Derrière ce rideau de flammes on aperçoit des grandes
ombres qui se tordent et s’abattent
Des coups de cognée retentissent
Un acre brouillard s’étend sur la forêt incandescente
que l’équipe des bûcherons circonscrit
Blaise Cendrars
Printemps