Aux Ruines de la Grèce païenne
O sommets de Taygète, ô rives du Pénée,
De la sombre Tempé vallons silencieux,
Ô campagnes d’Athène, ô Grèce infortunée,
Où sont pour t’affranchir tes guerriers et tes dieux ?
Doux pays, que de fois ma muse en espérance
Se plut à voyager sous ton ciel toujours pur !
De ta paisible mer, où Vénus prit naissance,
Tantôt du haut des monts je contemplais l’azur,
Tantôt, cachant au jour ma tête ensevelie
Sous tes bosquets hospitaliers,
J’arrêtais vers le soir, dans un bois d’oliviers,
Un vieux pâtre de Thessalie.
« Des dieux de ce vallon contez-moi les secrets,
Berger ; quelle déesse habite ces fontaines ?
Voyez-vous quelquefois les nymphes des forêts
Entr’ouvrir l’écorce des chênes ?
Bacchus vient-il encor féconder vos coteaux ?
Ce gazon que rougit le sang d’un sacrifice,
Est-ce un autel aux dieux des champs et des troupeaux ?
Est-ce le tombeau d’Eurydice ? »
Mais le pâtre répond par ses gémissemens :
C’est sa fille au cercueil qui dort sous ces bruyères ;
Ce sang qui fume encor, c’est celui de ses frères
Égorgés par les musulmans.
O sommets de Taygète, ô rives du Pénée,
De la sombre Tempé vallons silencieux,
Ô campagnes d’Athène, ô Grèce infortunée,
Où sont pour t’affranchir tes guerriers et tes dieux ?
« Quelle cité jadis a couvert ces collines ?
Sparte, répond mon guide… » Eh quoi ! Ces murs éserts,
Quelques pierres sans nom, des tombeaux, des ruines,
Voilà Sparte, et sa gloire a rempli l’univers !
Le soldat d’Ismaël, assis sur ces décombres,
Insulte aux grandes ombres
Des enfans d’Hercule en courroux.
N’entends-je pas gémir sous ces portiques sombres ?
Mânes des trois cents, est-ce vous ? …
Eurotas, Eurotas, que font ces lauriers-roses
Sur ton rivage en deuil, par la mort habité ?
Est-ce pour faire outrage à ta captivité
Que ces nobles fleurs sont écloses ?
Non, ta gloire n’est plus ; non, d’un peuple puissant
Tu ne reverras plus la jeunesse héroïque
Laver parmi tes lis ses bras couverts de sang,
Et dans ton cristal pur sous ses pas jaillissant
Secouer la poudre olympique.
C’en est fait, et ces jours que sont-ils devenus,
Où le cygne argenté, tout fier de sa parure,
Des vierges dans ses jeux caressait les pieds nus,
Où tes roseaux divins rendaient un doux murmure,
Où réchauffant Léda pâle de volupté,
Froide et tremblante encore au sortir de tes ondes,
Dans le sein qu’il couvrait de ses ailes fécondes,
Un dieu versait la vie et l’immortalité ?
C’en est fait ; et le cygne, exilé d’une terre
Où l’on enchaîne la beauté,
Devant l’éclat du cimeterre
A fui comme la liberté.
O sommets de Taygète, ô rives du Pénée,
De la sombre Tempé vallons silencieux,
Ô campagnes d’Athène, ô Grèce infortunée,
Où sont pour t’affranchir tes guerriers et tes dieux ?
Ils sont sur tes débris ! Aux armes ! Voici l’heure
Où le fer te rendra les beaux jours que je pleure !
Voici la Liberté, tu renais à son nom ;
Vierge comme Minerve, elle aura pour demeure
Ce qui reste du Parthénon.
Des champs de Sunium, des bois du Cythéron,
Descends, peuple chéri de Mars et de Neptune !
Vous, relevez les murs ; vous, préparez les dards !
Femmes, offrez vos vœux sur ces marbres épars :
Là fut l’autel de la fortune.
Autour de ce rocher rassemblez-vous, vieillards :
Ce rocher portait la tribune ;
Sa base encor debout parle encore aux héros
Qui peuplent la nouvelle Athènes :
Prêtez l’oreille… Il a retenu quelques mots
Des harangues de Démosthènes.
Guerre, guerre aux tyrans ! Nochers ! Fendez les flots !
Du haut de son tombeau Thémistocle domine
Sur ce port qui l’a vu si grand ;
Et la mer à vos pieds s’y brise en murmurant
Le nom sacré de Salamine.
Guerre aux tyrans ! Soldats, le voilà ce clairon
Qui des perses jadis a glacé le courage !
Sortez par ce portique, il est d’heureux présage :
Pour revenir vainqueur, par là sortit Cimon.
C’est là que de son père on suspendit l’image !
Partez, marchez, courez, vous courez au carnage,
C’est le chemin de Marathon !
O sommets de Taygète, ô débris du Pyrée,
Ô Sparte, entendez-vous leurs cris victorieux ?
La Grèce a des vengeurs, la Grèce est délivrée,
La Grèce a retrouvé ses héros et ses dieux !
Casimir Delavigne, Les Messéniennes, Livre II (1835)