Lord Byron
Non, tu n’es pas un aigle, ont crié les serpens,
Quand son vol faible encor trompait sa jeune audace :
Et déjà sur le dos de ces monstres rampans
Du bec vengeur de l’aigle il imprimait la trace ;
Puis, le front dans les cieux de lumière inondés,
Les yeux sur le soleil, les ongles sur la foudre,
Il dit à ces serpens qui sifflaient dans la poudre :
« Que suis-je ? répondez. »
Tel fut ton noble essor, Byron, et quelle vie,
Vieille de gloire en un matin,
D’un bruit plus imposant, d’un éclat plus soudain,
Irrita la mort et l’envie ?
Par de lâches clameurs quel génie insulté
Dans son obscurité première,
Changea plus promptement et sa nuit en lumière,
Et son siècle en postérité ?
Poètes, respectez les prêtres et les femmes,
Ces terrestres divinités !
Comme dans les célestes âmes,
L’outrage est immortel dans leurs cœurs irrités.
Un temple, qu’on mutile, a recueilli Voltaire :
Vain refuge, et l’écho des foudres de la chaire,
Que le prêtre accoutume à maudire un grand nom,
Tonne encor pour chasser son ombre solitaire
Des noirs caveaux du Panthéon.
Byron, tu préféras, sous le ciel d’Ibérie,
Des roses de Cadix l’éclat et les couleurs
Aux attraits de ces nobles fleurs
Pâles comme le ciel de ta froide patrie ;
De là tes jours de deuil, de là tes longs malheurs !
Des vierges d’Albion la beauté méprisée
Te poursuivit jusqu’au cercueil,
Et de l’Angleterre abusée
Tu fus le mépris et l’orgueil.
En vain leurs yeux ardens dévoraient tes ouvrages ;
L’auteur par son exil expia ses outrages ;
Et tu n’as rencontré sous des cieux différens,
Des créneaux de Chillon aux débris de Mégare,
Des gouffres d’Abydos aux cachots de Ferrare,
Que sujets d’accuser les dieux et les tyrans.
Victime de l’orgueil, tu chantas les victimes
Qu’il immole sur ses autels ;
Entouré de débris qui racontaient des crimes,
Tu peignis de grands criminels.
Rebelle à son malheur, ton ame indépendante
N’en put sans désespoir porter le joug de fer :
Persécuté comme le Dante,
Comme lui tu rêvas l’enfer.
L’Europe doit t’absoudre, en lançant l’anathème
Sur tes tristes imitateurs.
La gloire n’appartient qu’aux talens créateurs ;
Sois immortel : tu fus toi-même.
Il brille d’un éclat que rien ne peut ternir,
Ce tableau de la Grèce au cercueil descendue,
Qui n’a plus de vivant que le grand souvenir
De sa gloire à jamais perdue.
Contemplez une femme, avant que le linceuil
En tombant sur son front brise votre espérance
Le jour de son trépas, ce premier jour du deuil
Où le danger finit, où le néant commence :
Quelle triste douceur ! Quel charme attendrissant !
Que de mélancolie, et pourtant que de grace
Dans ces lèvres sans vie où la pâleur descend !
Comme votre œil avide admire en frémissant
Le calme de ses traits dont la forme s’efface,
La morne volupté de son sein pâlissant !
Du corps inanimé l’aspect glace votre ame :
Pour vous-même attendri, vous lisez vos destins
Dans l’immobilité de ses beaux yeux éteints.
Ils ont séduit, pleuré, lancé des traits de flamme,
Et les voilà sans feux, sans larmes, sans regard !
Pour qu’il vous reste un doute, il est déjà trop tard ;
Mais l’espoir un moment suspendit votre crainte,
Tant sa tête repose avec sérénité !
Tant la main de la mort s’est doucement empreinte
Sur ce paisible front par elle respecté,
Où la vie en fuyant a laissé la beauté !
C’est la Grèce, as-tu dit, c’est la Grèce opprimée ;
La Grèce belle encor, mais froide, inanimée ;
La Grèce morte ! … Arrête, et regarde ses yeux :
Leur paupière long-temps fermée
Se rouvre à la clarté des cieux.
Regarde, elle s’anime ; écoute, sous ses chaînes
Son corps frémit et s’est dressé.
Ce pur sang, que le fer a tant de fois versé,
Pour se répandre encor bouillonne dans ses veines ;
Son front qui reprend sa fierté,
Pâle d’un long trépas, menace et se relève ;
Son bras s’alonge et cherche un glaive ;
Elle vit, elle parle, elle a dit : Liberté !
Morte, tu l’admirais ; vivante, qu’elle est belle !
Tu ne peux résister à son cri qui t’appelle.
Tu cours, tu la revois, mais c’est en expirant.
Oh ! Qui pourrait des grecs retracer les alarmes,
Les vœux, les chants de deuil mêlés au bruit des armes ?
Autour de la croix sainte, aux pieds des monts errant,
Le peuple confondait, dans l’ardeur de son zèle,
Son antique croyance avec sa foi nouvelle,
Invoquait tous ses dieux, et criait en pleurant :
« Vent qui donnes la vie à des fleurs immortelles,
Toi, par qui le laurier vieillit sans se flétrir ;
Vent qui souffles du Pinde, accours, étends tes ailes ;
Ton plus beau laurier va mourir !
« Flots purs, où s’abreuvait la poésie antique,
Childe-Harold sur vos bords revient pour succomber ;
Versez votre rosée à ce front héroïque
Que la mort seule a pu courber.
« Dieux rivaux, de nos pleurs séchez la source amère :
Dieu vainqueur de Satan, dieu vainqueur de Python,
Renouvelez pour lui les jours nombreux d’Homère
Et la vieillesse de Milton ! »
N’invoquez pas les vents, insensés que vous êtes !
Leur souffle aime à flétrir la palme des poètes,
Tandis qu’il mûrit les poisons !
N’invoquez pas les flots des fontaines sacrées ;
Ils brûlent tôt ou tard les lèvres inspirées
Pour qui semblaient couler leurs dons !
N’invoquez pas les dieux ; ils dorment ; la mort veille.
Pour peu qu’un bruit de gloire ait dénoncé vos jours
À son impitoyable oreille,
La mort entend ; les dieux sont sourds !
Il n’est plus ! Il n’est plus ! Toi, qui fus sa patrie,
Pleure, ingrate Albion : l’exil paya ses chants.
Berceau de ses aïeux, pleure, antique Neustrie ;
Corneille et lui sont tes enfans.
Et toi que son trépas livre sans espérance
Aux chaînes des tyrans qu’auraient punis ses vers,
Pleure, esclave ; son luth consolait ta souffrance ;
Son glaive aurait brisé tes fers !
Les Grecs le vengeront, ils l’ont juré : la gloire
Prépare les funèbres jeux
Qu’ils vont offrir à sa mémoire.
Qu’ils marchent, que son cœur repose au milieu d’eux,
Enseveli par la victoire.
Alors avec le fer du croissant abattu
Ils graveront sur son dernier asile :
« Ô sort ! Que ne l’épargnais-tu !
Il chantait comme Homère, il fût mort comme Achille. »
Ah ! Quels que soient les lieux par sa tombe illustrés,
Temple de la vertu, des arts, de la vaillance,
Dont Londre est fière encore et qu’a perdu la France,
Son ombre doit s’asseoir sous tes parvis sacrés.
Westminster, ouvre-toi ! Levez-vous devant elle,
De vos linceuls dépouillez les lambeaux,
Royales majestés ! Et vous, race immortelle,
Majestés du talent, qui peuplez ces tombeaux !
Le voilà sur le seuil, il s’avance, il se nomme…
Pressez-vous, faites place à ce digne héritier !
Milton, place au poète ! Howe, place au guerrier !
Pressez-vous, rois, place au grand homme !
Casimir Delavigne, Les Messéniennes, Livre II (1835)