Chanson de route Arya
Fiers sur nos chevaux, tribu souveraine
Poussons devant nous les troupeaux bêlants,
Les bœufs mugissants. Que chacun emmène,
Enlacée à lui de ses beaux bras blancs,
L’amoureuse. Car la halte est prochaine.
Partis du pays des hauts pics neigeux,
Des vallons mouillés par les sources vives,
Nous en emportons les rires, les jeux,
Les frais souvenirs, sans chansons plaintives.
Aux pays nouveaux nous trouverons mieux.
Esclaves, hâtez la marche endormante
Des troupeaux. L’agneau sait téter alors
Que la brebis court en broutant la menthe.
De vos aiguillons piquez les bœufs forts,
Les bœufs paresseux que le taon tourmente.
Mais on ralentit l’allure, à travers
Les bois ; on descend de cheval ; et, blanches,
Nos filles s’en vont dans les buissons verts,
Les cheveux au vent, écartant les branches,
Cherchant avec nous des chemins ouverts.
Posant leurs pieds blancs sur les feuilles sèches,
Elles font tinter autour de leurs cous
Et sur leurs beaux seins, doux comme les pêches,
L’or et l’argent fins, sonores bijoux.
Ainsi nous marchons dans les forêts fraîches.
Voici l’aube. Allons ! Assez de sommeil !
N’attendons pas ceux qui sont lents à suivre,
Voici que le jour s’est levé vermeil.
Nous vaincrons les nains d’ébène ou de cuivre
Dans les beaux pays chauffés du soleil.
Et les nains, sachant nos cœurs indomptables,
Seront conducteurs et graisseurs tremblants
De nos chariots, nettoyeurs d’étables,
Pour garder vos doigts rosés, vos bras blancs
Filles de sang pur, aux yeux désirables.
Aux peuples soumis, à terre ployés
Les soins du labour et du pâturage,
Nous sur les hauteurs et dans les halliers
Consultant le vent, les bruits du feuillage,
Combattons les loups et les sangliers.
Laissons les troupeaux brouter dans la plaine.
Ne tuez jamais les douces brebis,
Car nous leur prenons le lait et la laine.
La vache offre aussi le lait de ses pis.
Réjouissons-nous quand la vache est pleine.
Le lait rend joyeux les roses enfants
Qui font oublier la pensée amère.
Du lait nous faisons les fromages blancs,
Piquants, bons avec le vin et la bière.
Ne tuez jamais la vache aux beaux flancs.
Les bœufs mugissants ont la lente allure
Qui laisse dormir dans les chariots
Nos enfants, parmi la chaude fourrure.
Respectez les bœufs, aussi les taureaux
Fécondeurs jaloux, puissants d’encolure.
Le soir nous rentrons de la chasse, fiers
Du gibier conquis. Le chevreuil, le lièvre,
Le sanglier noir, odorantes chairs
Et les tourdes gras, nourris de genièvre
Rôtissent, fumants, devant les feux clairs.
Les femmes alors nous montrent contentes
La laine et le lin qu’elles ont filés,
Pendant que jouaient, à l’ombre des tentes,
Les enfants bruyants, aux yeux éveillés
Sous le buisson roux des boucles flottantes.
Aux repas du soir, avant le repos,
Alors que sont cuits les lièvres, les tourdes,
Quand la bière d’or mousse dans les pots,
Quand le vin vermeil sonne dans les gourdes,
On chante les faits des anciens héros.
La lueur des feux, les rayons de lune
Éclairent, la nuit, vos souples contours,
Filles de sang pur. Ô vous, que chacune
À chacun de nous donne ses amours,
Et livre son corps blanc, dans la nuit brune.
Il fait mal celui qui, loin des amis
Se glisse, oublieux de nos lois hautaines,
Sous les chariots où sont endormis
Nos fils purs, et va, la nuit vers les naines
Filles sans beauté des peuples soumis.
De là, les enfants mêlés, détestables,
Serviteurs mauvais de nos enfants purs,
Qui, multipliés ainsi que les sables
Feront révolter, dans les jours futurs,
Les peuples soumis, nettoyeurs d’étables.
Donc, il faut chasser les instincts troublants
Et laisser entre eux s’unir les esclaves,
Graisseurs des moyeux, piqueurs des bœufs lents,
Tandis que, le soir, nos filles suaves
S’enlacent à nous de leurs beaux bras blancs.
En route, à cheval, tribu souveraine,
Héros descendus des hauts pics neigeux ;
Filles aux pieds blancs que chacun emmène !
Nous retrouverons les rires, les jeux,
Et l’amour ce soir ; la halte est prochaine.