Mon rêve
« Jeune imprudent, ne brave pas l’orage,
L’indépendance est un mot oublié !
Courbe ton front ! » me disait un vieux sage,
Qu’au char des grands la crainte avait lié.
« Que le bandeau qui couvre nos misères,
Lui dis-je alors, par vous soit écarté :
Mais moi, qui suis dans l’âge des chimères,
Ah ! laissez-moi rêver la liberté !
Si votre cœur, lassé de trop de haines,
A soixante ans, ne peut plus s’émouvoir ;
Si, sans frémir, vous contemplez nos chaînes.
Moi, j’ai vingt ans, je ne veux pas les voir !
D’illusions j’ai bercé ma jeunesse,
Je crains encore la triste vérité…
Gardez, gardez votre froide sagesse,
Et laissez- moi rêver la liberté !…
Quand les bourreaux, sous d’injustes entraves,
Des nobles cœurs ont comprimé l’essor,
Serfs indolents, que des milliers d’esclaves
Pour s’affranchir n’osent faire un effort !
Moi, du soleil je sens les étincelles,
Du champ des airs, aiglon déshérité,
Moi, vers les cieux, je tends encore mes ailes…
Ah ! laissez-moi rêver la liberté !…
Je sais qu’au sein même des républiques,
La liberté craint les ambitieux…
Je sais qu’il est des prêtres fanatiques
Qui se sont mis à la place des dieux.
Mais je caresse un séduisant mensonge,
Je suis amant !… Rois, pontifes, beauté,
Puisque pour nous elle n’est plus qu’un songe,
Ah ! laissez-moi rêver la liberté ! »