Premier amour
I
Nous nous étions connus tout petits à l’école.
Comme son père était de mon père voisin,
Nous partions tous les deux sac au dos le matin
Nos têtes s’encadraient d’une même auréole.
Dans la rose candeur du sourire enfantin,
Nous étions bons amis. Quand les flots du Pactole
Roulaient chez l’un de nous, par hasard, une obole,
Nous divisions toujours en deux parts le festin.
Souvent, aux lendemains de mes fainéantises,
Me laissant consulter en route son devoir,
Elle sut m’épargner l’horreur du cachot noir.
Moi, je grimpais pour elle à l’arbre des cerises,
Pour elle je pillais la vigne et le pommier,
Et je la défendais comme un bon chevalier.
II
Plus tard, à l’âge d’or où dans notre poitrine
Vibre l’enchantement des frissons amoureux,
A l’âge où l’on s’égare au fond des rêves bleus,
Sans songer à demain et ce qu’il nous destine,
Sous les érables du grand parc, à la sourdine,
Nous nous cachions, loin des oreilles et des yeux,
Et, son front virginal penché sur mes cheveux,
Ensemble nous lisions le divin Lamartine.
Oui ! nous avons vécu l’âge de nos seize ans
Où le coeur entend mieux ce que la lyre exprime,
Parmi les vers d’amour frappés au coin sublime.
Oui ! nous avons connu les baisers innocents,
Sur le lac de cristal que la nacelle effleure,
Devant le livre ouvert à la page où l’on pleure.
III
Comme ils coulaient heureux ces beaux jours d’autrefois !
Comme nous nous aimions avec nos âmes blanches !
Dans les sentiers discrets émaillés de pervenches
Qu’épargnaient en passant ses brodequins étroits,
Nous allions écouter l’harmonieuse voix
Des souffles attiédis qui chantaient dans les branches ;
Nous mêlions au murmure infini des grands bois
L’écho de nos serments et de nos gaîtés franches.
Fervents du clair de lune et des soirs étoilés,
Nous allions réveiller les nénufars des plages,
Inclinant sur les flots leurs corps immaculés.
Et nous aimions unir nos riantes images
Aux scintillants reflets des milliers d’astres d’or,
Dans l’immense miroir du Saint-Laurent qui dort.