Vive la Canadienne
Dans maint pays, la voix du peuple entonne
L’hymne national pour fêter la couronne,
Ou la révolte, ou le sinistre airain
Qui gronde et tue en la sanglante plaine.
Plus poétique est notre gai refrain :
Vive la Canadienne !
Nous préférons chanter sur des rythmes joyeux,
Parmi tant de bonheurs que le sort nous enlève,
Le charme délicat et troublant des beaux yeux
Qui planent sur notre âme en y versant leur rêve,
Et, dans l’ombre morose étincellent pour nous ;
Ils semblent refléter, aux feux de leurs prunelles,
De nos soleils absents les splendeurs immortelles,
Vivent la Canadienne et ses jolis yeux doux !
Restés Français par la galanterie,
Ensemble nous fêtons la femme et la patrie.
Si la vertu n’est pas un vague mot,
Notre chanson n’est frivole ni vaine ;
Et l’avenir le prouvera bientôt…
Vive la Canadienne !
Pour saluer l’orgueil des drapeaux outragés
Qui flottent, solennels, dans les grands jours de fièvre,
Elle sait l’art des chants tragiques ou légers ;
Et les fiers souvenirs frissonnent sur sa lèvre.
Nous mettons un espoir sublime à ses genoux,
Car c’est en bon français qu’elle nous dit : Je t’aime…
Entre ses bras divins s’écrit notre poème.
Vivent la Canadienne et ses jolis yeux doux !
Nos conquérants ont flétri leur histoire.
Aussi, le justicier qui mesure la gloire
Des nations et leur iniquité,
Saura venger notre soeur acadienne
Au tribunal de la postérité…
Vive la Canadienne !
Ils ont fait arracher, magnanimes vainqueurs,
L’amoureux à la vierge, et l’époux à la femme,
Et l’enfant à la mère ; ils ont brisé des coeurs.
Ils ont, pour effrayer l’opprimé qui réclame,
Dressé des échafauds et forgé des verrous.
Mais ce n’est pas assez pour qu’une France tombe !
Ils ont en vain creusé dans leur nuit notre tombe.
Vivent la Canadienne et ses jolis yeux doux !
En supprimant notre langue à l’école,
Ils ont cru vers leur port fausser notre boussole ;
Ils ont pensé pouvoir briser le sceau
Éblouissant de la patrie ancienne,
Que nous portons au front dès le berceau.
Vive la Canadienne !
Qui donc empêchera, dans les roses printemps,
Les jeunesses qui vont jaser sous les érables
D’échanger en français, à l’aube des vingt ans,
Les éternels serments des amours périssables.
Une école demeure : ils se rappellent tous
Les mots harmonieux des tendresses premières,
Quand ils sautaient, bambins, sur les genoux des mères.
Vivent la Canadienne et ses jolis yeux doux !
Moins que jamais notre horizon est sombre.
Le sol natal est vaste et nous gagnons en nombre ;
Malgré ceuxlà qu’une terre d’exil
Vers l’industrie et l’aventure entraîne,
Chaque an de plus amoindrit le péril.
Vive la Canadienne !
Notre sol, aux vainqueurs le travail le reprend :
Le Canadien, soldat de la sublime guerre
Qui vainc la forêt vierge, est le vrai conquérant ;
Il arrache la vie aux trésors de la terre.
Dans ces rudes chemins la femme suit l’époux ;
Elle va près de lui, simple, héroïque et pure,
Demander l’avenir à la grande Nature.
Vivent la Canadienne et ses jolis yeux doux !
Sur les sentiers où vont nos destinées
Combien de pauvres fleurs hélas ! gisent fanées ;
Mais il en est dont les grands vents du Nord
N’ont pas terni la beauté souveraine :
Nous saurons bien les ravir à la mort…
Vive la Canadienne !
Fils d’Albion ! Dieu mit des obstacles sacrés
Devant nos coeurs français qui narguent les conquêtes.
Notre peuple, jamais vous ne l’engloutirez
Dans l’océan vorace où grondent vos tempêtes.
Vous n’étoufferez pas, sous un jargon jaloux,
La langue maternelle, élégante et sonore !
Vous n’éteindrez jamais l’astre de notre aurore :
La Canadienne aux beaux yeux doux !
Les étoiles filantes