Dernières paroles du poète
Je vais mourir, je vais bientôt mourir ; qu’on ouvre
La croisée et que j’aie un rayon de soleil
Sur mon lit et la ronde endormeuse des mouches ;
Que tout le jour sourie à mon dernier sommeil ;
Qu’on me couvre de fleurs, que l’air frais du matin
M’apporte encor les clairs effluves du jardin
Où mon frère aux cheveux dorés creuse le sable.
Je vais mourir ; il ne faut pas vous attrister,
Nous sommes icibas des roses de passage
Qu’un vent plein de sel pur souffle à l’Eternité.
Mes soeurs, priez, ma mère… ô mère, êtesvous là ?
Entrelacez mes doigts sans force au crucifix
Et donnez le baiser du soir à votre fils ;
Dites paisiblement : le Seigneur l’appela.
Parlez, souriezmoi, prenez mes mains… Vous êtes
Frémissante et mon coeur vous devine inquiète…
C’est que je fus vraiment un enfant de caresse ;
Ah ! oui, tous les parfums qui font oublier, toutes
Les vénéneuses fleurs qu’on cueille au bord des routes…
Ce fut bref comme un doigt qui descend une harpe
Et mon printemps s’est envolé comme une écharpe.
Vous m’aviez fait tendre et câlin, pardonnezmoi ;
La chair est chose douce à la chair, j’étais jeune,
Et je vous ai caché de plus amers émois,
Quand, ma mère, vous vous cachiez pour pleurer seule.
Mais j’offre ma prière humble et fervente à Dieu
Dont la clarté palpite en moi légère et neuve
Comme un papillon blanc passe sur le ciel bleu.
La rumeur du dehors ruisselle comme un fleuve ;
Les gens joyeux, leur livre en main, vont à la messe.
Je sens mon coeur obscur s’éteindre et j’ai des larmes
Aux yeux comme le ciel nocturne a des étoiles.
La vie en moi semble un chant qui s’éloigne et cesse.
J’implore, ô juste Dieu, votre bonté profonde :
Et maintenant, brisez ma ruche dans ce monde,
Qu’ouvrant son vol enfin vers les célestes landes,
Mon âme, fugitive abeille d’or, se fonde
Dans l’essaim frémissant des cloches du dimanche.
28 novembre 1897.
Le coeur solitaire