Puisque l’ennui, pauvre homme
Puisque l’ennui, pauvre homme,
Te jette encore à de nouveaux voyages,
Emporte au moins dans l’âme
L’adieu doré des beaux jours de l’automne.
Comme un baiser l’après-midi s’achève ;
La brise est large et pure,
Et toute voix se fond dans le murmure
Religieux des chênes.
Le meunier passe, écoute,
Son grelot clair tinte au loin sur la route ;
Et l’eau mélodieuse
Se baise et rit dans les canaux d’yeuse.
L’ombre descend les berges.
Déjà les champs sont pleins de brumes bleues ;
Le ruisseau dans les herbes
Y fait briller ses reflets de couleuvre.
Ton esprit se recueille ;
Secrètement le cristal de ton âme
S’émeut des cris d’oiseaux, d’un pas de femme
Qui craque dans les feuilles…
Regagne la maison ;
Comme toujours elle est blanche, humble et calme,
Et sur son mur les branches du platane
Entrecroisent leurs ombres.
Le vieux soleil, tombant en molles nappes.
Bénit les vieilles pierres ;
La vigne jaune à sa tiède lumière
Mûrit encore des grappes ;
Et dans la chambre basse,
Au souffle d’air qui pousse la fenêtre,
Obscurément celles qui t’ont vu naître
Parlent de leurs voix lasses.
En maniant leurs crochets à dentelle
Aux derniers feux du jour :
« Reverrons-nous notre enfant ? » disent-elles ;
Et la tristesse, aux joues
Des aïeules pensives.
Suspend des pleurs lourds comme les années ;
Le soir ainsi fait trembler sa rosée
Sur les roses tardives.
Séjour, heures paisibles !
Demain pourtant les premières étoiles
Verront ton navire arrondir ses voiles
Et voguer vers les îles.
Avant d’aller traîner ta vieille peine
Sur de lointains rivages,
Ecoute encore la voix grave des chênes,
Contemple le village.
Harmonie et douceur !
Le toit natal fume dans la lumière…
Parle, dis-moi, mon frère.
Pourquoi si loin chercher la paix du cœur ?