Qui de vous n’a connu les soirs où l’on écoute
Qui de vous n’a connu les soirs où l’on écoute
L’orgueil gronder en soi comme un orgue funèbre,
Les soirs d’ombre et d’effroi, d’impuissance et de doute
Qui remuent au plus bas du cœur la cendre amère ?
Alors on est haineux et dur comme Satan,
On crispe en dieu tombé ses poings contre le ciel.
On voudrait voir finir le monde dans le sang
Et tout l’azur crever en déluge de fiel.
Or vient, très ignorante et très douce, une femme
Dont le corps jeune est frais comme l’eau des fontaines.
Sa bouche rit et chante et murmure : « Je t’aime,
Je t’aime, fais-moi place aux côtés de ton âme ;
Je suis la bonne alcôve où tu pourras dormir.
Voici mes seins gonflés de chair pour te nourrir ;
Viens dans mes bras profonds, homme, éternel enfant,
Que je te berce, hors de l’espace et du temps. »
Elle dit et s’enroule, anxieuse et lascive,
— Le chèvrefeuille ainsi frissonne autour du cippe —
Elle s’enroule et tremble autour de notre orgueil.
Cependant sa tendresse a forcé notre accueil
Et dénoué les nœuds qui nous serraient le cœur.
Le sang tumultueux fait bourdonner les tempes,
On sent courir en soi comme une vie ardente ;
Et, les yeux enfouis dans ces genoux de femme,
Défaillant à mourir d’une immense langueur,
Le mauvais orgueilleux frémit et fond en larmes.