La fleur
J’ai vécu. Ce n’est pas que la mort m’épouvante.
Mais en sondant mon cœur j’ai vu qu’à ses parois
La fleur de poésie était toujours vivante,
Dieu bon ! et que jamais sur sa tige mouvante
N’avaient autant germé de boutons à la fois.
Elle avait pris racine au milieu des décombres.
Ce n’était autour d’elle et près d’elle affaissés
Que spectres, revenants, esprits, fantômes, ombres,
Tumultueux chaos d’apparitions sombres,
Où je reconnaissais tous mes rêves passés.
Chacun d’eux m’appelait ; chacun d’eux sous son aile
Montrait le trou béant de quelque trahison.
Vains efforts ! Ils n’ont pu détacher ma prunelle
De la rose d’Éden, de la rose éternelle,
Qui poussait en mon cœur sa libre floraison !
Et je n’ai pas eu tort, n’est-il pas vrai, mon frère,
De comprimer en moi tout élan téméraire.
De planter mes deux poings au fond de mes deux yeux,
De fermer mon oreille aux voix du suicide
Et d’invoquer si haut la Muse au front placide
Qu’elle ait à mon appel abandonné les deux !