La dernière vision

Charles-Marie Leconte De Lisle
par Charles-Marie Leconte De Lisle
0 vues
0.0

Un long silence pend de l’immobile nue.
La neige, bossuant ses plis amoncelés,
Linceul rigide, étreint les océans gelés.
La face de la terre est absolument nue.

Point de villes, dont l’âge a rompu les étais,
Qui s’effondrent par blocs confus que mord le lierre.
Des lieux où tournoyait l’active fourmilière
Pas un débris qui parle et qui dise : J’étais !

Ni sonnantes forêts, ni mers des vents battues.
Vraiment, la race humaine et tous les animaux
Du sinistre anathème ont épuisé les maux.
Les temps sont accomplis : les choses se sont tues.

Comme, du faîte plat d’un grand sépulcre ancien,
La lampe dont blêmit la lueur vagabonde,
Plein d’ennui, palpitant sur le désert du monde,
Le soleil qui se meurt regarde et ne voit rien.

Un monstre insatiable a dévoré la vie.
Astres resplendissants des cieux, soyez témoins !
C’est à vous de frémir, car icibas, du moins,
L’affreux spectre, la goule horrible est assouvie.

Vertu, douleur, pensée, espérance, remords,
Amour qui traversais l’univers d’un coup d’aile,
Qu’êtesvous devenus ? L’âme, qu’aton fait d’elle ?
Qu’aton fait de l’esprit silencieux des morts ?

Tout ! tout a disparu, sans échos et sans traces,
Avec le souvenir du monde jeune et beau.
Les siècles ont scellé dans le même tombeau
L’illusion divine et la rumeur des races.

Ô soleil ! vieil ami des antiques chanteurs,
Père des bois, des blés, des fleurs et des rosées,
Éteins donc brusquement tes flammes épuisées,
Comme un feu de berger perdu sur les hauteurs.

Que tardestu ? La terre est desséchée et morte :
Fais comme elle, va, meurs ! Pourquoi survivre encor ?
Les globes détachés de ta ceinture d’or
Volent, poussière éparse, au vent qui les emporte.

Et, d’heure en heure aussi, vous vous engloutirez,
Ô tourbillonnements d’étoiles éperdues,
Dans l’incommensurable effroi des étendues,
Dans les gouffres muets et noirs des cieux sacrés !

Et ce sera la Nuit aveugle, la grande Ombre
Informe, dans son vide et sa stérilité,
L’abîme pacifique où gît la vanité
De ce qui fut le temps et l’espace et le nombre.

Poèmes barbares

Charles-Marie Leconte De Lisle

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Charles-Marie Leconte De Lisle

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

Votre plume est l'épée de l'émotion. Partagez vos coups de génie avec nous.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Découvrez d'autres poèmes de Charles-Marie Leconte De Lisle

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.