L’Aboma

Charles-Marie Leconte De Lisle
par Charles-Marie Leconte De Lisle
0 vues
0.0

Du pied des sommets bleus, làbas, dans le ciel clair,
Épandu sur les lacs, les forêts et les plaines,
Le vaste fleuve, enflé de cent rivières pleines,
S’en va vers l’orient du monde et vers la mer.

L’or fluide du jour jaillit en gerbes vives,
Monte, s’épanouit, retombe, et, ruisselant
Comme un rose incendie au fleuve étincelant,
Semble le dilater audessus de ses rives.

Sous les palétuviers visqueux, aux longs arceaux,
Dans l’enchevêtrement aigu des herbes grasses,
Tourbillonne l’essaim des moustiques voraces
Et des mouches dont l’aile égratigne les eaux.

L’ara vêtu de pourpre éveille les reptiles,
Crotales et corails, agacés de ses cris,
Et qui bercent le nid grêle des colibris
Par l’ondulation de leurs fuites subtiles.

Au loin, à l’horizon des pacages herbeux,
Où la brume en flocons transparents s’évapore,
Passent, aiguillonnés des flèches de l’aurore,
Des troupeaux d’étalons sauvages et de boeufs.

Ils courent, les uns fiers et joyeux, l’oeil farouche,
Crins hérissés, la queue au vent, et par milliers
Martelant bonds sur bonds les déserts familiers,
Et ceuxci, mufle en terre et la bave à la bouche.

Les caïmans, le long des berges embusqués,
Guettent, en soulevant du dos la vase noire,
Le jaguar qui descend au fleuve pour y boire
Et qui hume dans l’air leurs effluves musqués.

Mais sur l’îlot moussu que la rosée imbibe,
Par les vagues rumeurs troublé dans son sommeil,
Se déroule, haussant sa spirale au soleil,
Le vieux roi des pythons, l’Aboma caraïbe.

La mâle torsion de ses muscles d’acier
Soutient le col superbe et la tête squameuse ;
Sa queue en longs frissons fouette l’onde écumeuse ;
Il se dresse du haut de son orgueil princier.

Armuré de topaze et casqué d’émeraude,
Comme une idole antique immobile en ses noeuds,
Tel, baigné de lumière, il rêve, dédaigneux
Et splendide, et dardant sa prunelle qui rôde.

Puis, quand l’ardeur céleste enveloppe à la fois
Les nappes d’eau torride et la terre enflammée,
Il plonge, et va chercher sa proie accoutumée,
Le taureau, le jaguar, ou l’homme, au fond des bois.

Poèmes tragiques

Charles-Marie Leconte De Lisle

Qu’en pensez-vous ?

Partagez votre ressenti pour Charles-Marie Leconte De Lisle

Noter cette création
1 Étoile2 Étoiles3 Étoiles4 Étoiles5 Étoiles Aucune note
Commenter

La poésie se renouvelle avec chaque commentaire. Soyez le souffle de la renaissance.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Découvrez d'autres poèmes de Charles-Marie Leconte De Lisle

Aucun poème populaire trouvé ces 7 derniers jours.

Nouveau sur LaPoesie.org ?

Première fois sur LaPoesie.org ?


Rejoignez le plus grand groupe d’écriture de poésie en ligne, améliorez votre art, créez une base de fans et découvrez la meilleure poésie de notre génération.