Les damnés
La terre était immense, et la nue était morne ;
Et j’étais comme un mort en ma tombe enfermé,
Et j’entendais gémir dans l’espace sans borne
Ceux dont le coeur saigna pour avoir trop aimé :
Femmes, adolescents, hommes, vierges pâlies,
Nés aux siècles anciens, enfants des jours nouveaux,
Qui, rongés de désirs et de mélancolies,
Se dressaient devant moi du fond de leurs tombeaux.
Plus nombreux que les flots amoncelés aux grèves,
Dans un noir tourbillon de haine et de douleurs,
Tous ces suppliciés des impossibles rêves
Roulaient, comme la mer, les yeux brûlés de pleurs.
Et sombre, le front nu, les ailes flamboyantes,
Les flagellant encor de désirs furieux,
Derrière le troupeau des âmes défaillantes
Volait le vieil Amour, le premier né des dieux.
De leur plainte irritant la lugubre harmonie,
Luimême consumé du mal qu’il fait subir,
Il chassait, à travers l’étendue infinie,
Ceux qui sachant aimer n’en ont point su mourir.
Et moi, je me levais de ma tombe glacée,
Un souffle au milieu d’eux m’emportait sans retour ;
Et j’allais, me mêlant à la course insensée,
Aux lamentations des damnés de l’amour.
Ô morts livrés aux fouets des tardives déesses,
Ô Titans enchaînés dans l’Érèbe éternel,
Heureux ! vous ignoriez ces affreuses détresses,
Et vous n’aviez perdu que la terre et le ciel !
Poèmes barbares