Mille ans après
L’âpre rugissement de la mer pleine d’ombres,
Cette nuitlà, grondait au fond des gorges noires,
Et tout échevelés, comme des spectres sombres,
De grands brouillards couraient le long des promontoires.
Le vent hurleur rompait en convulsives masses
Et sur les pics aigus éventrait les ténèbres,
Ivre, emportant par bonds dans les lames voraces
Les bandes de taureaux aux beuglements funèbres.
Semblable à quelque monstre énorme, épileptique,
Dont le poil se hérisse et dont la bave fume,
La montagne, debout dans le ciel frénétique,
Geignait affreusement, le ventre blanc d’écume.
Et j’écoutais, ravi, ces voix désespérées.
Vos divines chansons vibraient dans l’air sonore,
Ô jeunesse, ô désirs, ô visions sacrées,
Comme un chœur de clairons éclatant à l’aurore !
Hors du gouffre infernal, sans y rien laisser d’elle,
Parmi ces cris et ces angoisses et ces fièvres,
Mon âme en palpitant s’envolait d’un coup d’aile
Vers ton sourire, ô gloire ! et votre arome, ô lèvres !
La nuit terrible, avec sa formidable bouche,
Disait : La vie est douce ; ouvre ses portes closes !
Et le vent me disait de son râle farouche :
Adore ! Absorbetoi dans la beauté des choses !
Voici qu’après mille ans, seul, à travers les âges,
Je retourne, ô terreur ! à ces heures joyeuses,
Et je n’entends plus rien que les sanglots sauvages
Et l’écroulement sourd des ombres furieuses.
Poèmes barbares