Les siècles maudits
Hideux siècles de foi, de lèpre et de famine,
Que le reflet sanglant des bûchers illumine !
Siècles de désespoir, de peste et de haut-mal,
Où le Jacque en haillons, plus vil que l’animal,
Geint lamentablement sa pitoyable vie !
Siècles de haine atroce et jamais assouvie,
Où, dans les caveaux sourds des donjons noirs et clos
Qui ne laissent ouïr les cris ni les sanglots,
Le vieux juif, pieds et poings ferrés, et qu’on édente,
Pour mieux suer son or cuit sur la braise ardente !
Siècles de ceux d’Albi scellés vifs dans les murs,
Et des milliers de harts d’où les pendus trop mûrs,
Quand le vent de l’hiver les heurte et les fracasse,
Encombrent les chemins de quartiers de carcasse,
Avec force corbeaux battant de l’aile autour !
Siècles du noble sire aux aguets sur sa tour,
Éperonné, casqué, prêt à sauter en selle
Pour couper au marchand la gorge et l’escarcelle,
Et rendant grâce aux saints si les ballots sont lourds
De brocarts d’orient, de soie et de velours !
Siècles des loups-garous hurlant dans les bruyères,
Des incubes menant la ronde des sorcières
Par les anciens charniers où dansent alternés
Les feux blêmes qui sont âmes des morts damnés !
Siècles du goupillon, du froc, de la cagoule,
De l’estrapade et des chevalets, où la Goule
Romaine, ce vampire ivre de sang humain,
L’écume de la rage aux dents, la torche en main,
Soufflant dans toute chair, dans toute âme vivante,
L’angoisse d’être au monde autant que l’épouvante
De la mort, voue au feu stupide de l’enfer
L’holocauste fumant sur son autel de fer !
Dans chacune de vos exécrables minutes,
Ô siècles d’égorgeurs, de lâches et de brutes,
Honte de ce vieux globe et de l’humanité,
Maudits, soyez maudits, et pour l’éternité !