La grange
A Georges Chennevière
Quand tu étais étendu sur le dos,
Dans l’immense grange,
Au pied des piliers à peine équarris
Comme sous des arbres.
A la lueur des falots tu voyais
Jaillir jusqu’au faîte
Le branchage beau et plein de raison
Des vieilles charpentes.
Les deux pans du toit s’unissaient là-haut
Dans l’ombre profonde,
Où les araignées depuis cent années
Pendaient leurs doux voiles.
Tu n’avais rien vu durant de longs jours
Qui ne te fis honte ;
Rien que des besognes de ravageurs
Et des sacrilèges.
D’où tu revenais, rien ne subsistait
Des foyers que l’homme
Avec tout son art et d’infinis soins,
Élevait pour l’homme.
Mais tu retrouvais ici la maison.
Belle comme un hymne !
Et le vieil amour incliné sur toi
De ses grandes ailes ;
Ainsi que les voix qui montent vers Dieu
Vont peupler l’abside,
Tes yeux habitaient tout l’espace enclos
Dans son corps paisible.
C’était la Maison, le dernier témoin
Et le seul emblème
Pour louer encore l’oeuvre de nos mains,
Nos mains criminelles.
Ton coeur exilé savait prier là
Les meilleurs génies :
Celui qui construit, celui qui laboure
Et celui qui chante.
Hélas! Harnaché, tu partais un soir,
Docile et stupide,
Tu redevenais un lâche héros
Terré dans sa tombe.
Et quand, de retour au même repos
Tu cherchais la grange,
Tu ne voyais plus qu’un amas noirci
De bois et de pierres ;
Plus que les tronçons fumants des piliers
Debouts et tragiques,
Vieux accusateurs brandis devant toi !