Retour de la guerre
« Qu’en dis-lu, voyageur des pays
et des gares ? »
Paul Verlaine.
I
Toi qui rêvais d’accorder dans ta voix
L’allégresse d’aimer
Et ce sanglot voilé, toujours fidèle,
Appel de l’infini dans l’ombre de la joie,
Ce beau sanglot du coeur avide et débordé
Devant notre impuissance, hélas, à tout étreindre.
Toi qui aimais chanter même la chanson triste,
Mais où l’espoir sourit
Comme un éveil du vent ou l’envol d’un oiseau
Dans un feuillage inerte accablé de midi,
Toi qui voulais chanter aux hommes leur fortune
La plus certaine et la plus délaissée,
Dis, sauras-tu chanter encore ?
II
Après ce long silence, après ce dur voyage,
Quelque chose, toujours, frissonne dans ta voix
Mais ce n’est plus la joie.
Si c’est encore l’amour, c’est un amour en deuil
Et accablé d’outrages.
Des larmes sur les uns, du mépris sur les autres :
L’heure n’est pas d’entonner la louange
De ce monde aveugle et meurtri.
L’heure n’est pas non plus, après la servitude
Et dans l’étouffement,
De t’évader bien loin et seul en emportant
Une flamme sacrée.
Il faut rester ici, chanter dans cette nuit,
Chercher avec ton chant
Chercher comme toujours à quels appels
La vieille foi ouvrira des ailes nouvelles.
III
— Y a-t-il un lieu de silence
Où je puisse essayer mon chant
Sans que le submerge en moi-même
Le tumulte de ces orages,
Les cris aigus de ce prétoire
Où se proclament par cent voix
Le mensonge des criminels
La cupidité des voleurs
Et la lâcheté des esclaves ?
— Un seul accent vrai de ton coeur
En toi couvrira cent voix fausses.
Ah ! mon coeur n’est-il pas pareil
A un fruit jeté dans la mer :
Quand un batelier le recueille
Il est encore plein et doré
Mais sa chair que l’eau a forcée
N’a plus que l’âcreté du sel.
J’ai regardé bien trop de morts
Avec des yeux secs et distraits ;
J’ai connu trop de paysages,
J’ai pressé pendant ces cinq ans
Trop de mains, vu trop de visages;
Des flots ont noyé ma mémoire.
— La moisson étouffe et aveugle
L’ample grenier qui la confient
Mais d’où jaillira chaque gerbe
A son tour, avec tous ses grains.
Sur le lourd butin qui t’accable
Penche-toi ! Dans un coeur aimant
Rien n’est perduy rien ne s’efface
De ce qu’y a mis chaque jour.