Hymne au baiser
Don céleste, volupté pure,
De l’univers moteur secret,
Doux aiguillon de la nature,
Et son plus invincible attrait,
Éclair, qui, brûlant ce qu’il touche,
Par l’heureux signal de la bouche,
Avertit tous les autres sens ;
Viens jouer autour de ma lyre ;
Qu’on reconnaisse ton délire
À la chaleur de mes accens.
Tu vas sur tes sujets fidèles
Dispersant des flèches de feu :
Tu nourris de tes étincelles
Le flambeau de l’aveugle dieu.
Sans toi que serait le bel âge ?
Il t’offre son premier hommage,
Il s’éclaire de tes rayons ;
Et, des désirs hâtant l’ivresse,
Sur les lèvres de la jeunesse
Tu fais tes plus douces moissons.
Loin de l’oeil éclatant du monde,
Combien d’êtres infortunés,
Dans une obscurité profonde,
À gémir semblent condamnés !
Pour eux Zéphyr est sans haleine,
Les épis qui dorent la plaine,
Rarement mûrissent pour eux ;
Toi seul les retiens à la terre,
Et, même au sein de leur misère,
Tu leur apprends l’art d’être heureux.
La fleur qui pare nos prairies,
Te doit son lustre et son odeur.
Ces arbrisseaux que tu maries,
Sont tous éclos de ta chaleur.
Ces ruisseaux fuyant sous l’ombrage,
Ces flots caressant leur rivage,
Par ton souffle vont s’embraser ;
Pourquoi des lèvres demicloses
Ontelles la couleur des roses ?
C’est là que siège le baiser.
Le froid scrupule en vain s’offense
De tes bienfaits consolateurs ;
Tu tiens sous ton obéissance
Sages, héros, législateurs.
César quitte le Capitole,
Il menace, il s’élance, il vole,
Tout cède à ses travaux guerriers :
Mais il revient, briguant des chaînes,
Caresser les dames romaines
À l’ombre même des lauriers.
Ce Mahomet, ce fou sublime,
Contre tous les périls armé,
Qui pour l’erreur et pour le crime
Avait cru ce globe formé,
Auraitil, conquérant austère,
Supporté l’ennui de la guerre,
Sans les baisers de ses houris,
Qui charmaient son âme inquiète,
Et, dans le sérail du prophète,
Réalisaient son paradis.
Mais des demeures fastueuses
Tu crains l’appareil imposant ;
Les passions trop orageuses
En bannissent le sentiment.
Ah ! Sur des lèvres altérées,
Et par l’ennui décolorées,
Voudraistu donc te reposer ?
Ces lambris dorés, cette estrade
Ces carreaux, ces lits de parade,
Sont l’épouvantail du baiser.
Fuis sous les feuillages champêtres :
C’est là que réside la paix,
Et qu’à l’ombre des jeunes hêtres
On pratique tes doux secrets.
Sur des gerbes, sur une tonne,
Le baiser s’y prend, ou s’y donne ;
Le plaisir n’y fait pas compter ;
Et l’impitoyable étiquette
Sur les lèvres d’une coquette
Ne t’y fait jamais avorter.
Mais en quelques lieux qu’on t’appelle,
Ne déserte point mon réduit ;
Si j’ai pu te rester fidèle,
Que tes faveurs en soient le fruit !
Sème des fleurs sur ma jeunesse ;
Jusques dans la froide vieillesse
Renouvelle encor mes désirs,
Et puissestu, pour récompense,
Rencontrer souvent l’innocence,
Et la soumettre à tes plaisirs !
Puisse à ce prix trompant sa mère,
La jeune fille de quinze ans,
Dans son alcôve solitaire
Méditer ton art dans mes chants,
Interroger son âme oisive,
Dévorer l’image expressive
De l’amoureuse volupté,
Ne voir que baisers dans ses songes,
Et soupçonner dans ces mensonges
Les douceurs de la vérité !
Les baisers