Les cloches du sommeil
Toutes les cloches du sommeil s’en vont sonnant à perdre voix Voici le jour du grand réveil Tous mes amis viennent à moi tous mes amis vivants et morts les compagnons du désespoir frères du sang frères du sort ceux des matins et ceux des soirs Les grands navires appareillent O souvenirs ombres sans lois sonneurs des cloches du sommeil ils vont sonnant à pleine voix
Les hommes gris ont disparu avec les brumes de la nuit Les matelots ont parcouru la longue route où l’astre luit la longue route des bergers la lente route des Rois Mages
Les matelots d’un doigt léger m’ont éveillé quand le ciel sage fut plein de signes apparus et que l’étoile enfin jaillit par qui l’orage a disparu avec les brumes de la nuit
Les morts ne remonteront pas des rivages du grand hiver Mais la vengeance pas à pas s’élève enfin quand persévère une aurore tachée de sang un long silence et la pâleur la mort aux fronts des innocents et des enfants du long malheur Cloches sonnant à contre-glas le jour se lève sur la mer et les morts ne reviendront pas des rivages du grand hiver
Avant c’était le temps des petits matins d’août quand un peu de brouillard s’élève des eaux calmes et que l’herbe est trempée de rosée goutte à goutte et que le bateau plat glisse comme une palme
Avant c’était le temps des bains du crépuscule
et des eaux attiédies par le brûlant du jour
le temps du romarin le temps des libellules
le temps du temps perdu le temps d’un autre amour
Mais il faut maintenant changer de ton de tour car trop de mes amis sont morts en pleine nuit et j’ai pu trop souvent aux premiers pas du jour m’éveiller en veillant un jeune mort transi
J’ai vu le sang couler j’ai vu des chars brûler j’ai vu mourir des hommes et des enfants perdus m’ont demandé à boire et leur vie s’écoulait dans mes mains maladroites et le vin répandu
C’est le temps maintenant de ne plus oublier ceux qu’on a réveillés pour les faire mourir ceux qui chaque matin s’en vont les mains liées le long d’un long couloir qui n’en veut pas finir
C’est le temps maintenant d’avoir une autre voix et de sonner sans fin les cloches du sommeil et de rendre aux dormeurs l’espérance et la foi de chanter aux vivants le chant du grand réveil.