Mille morts
Je suis dans le soleil endormi paresseux habité de pensées comme l’été d’abeilles
Le soleil tout à ce qu’il fait n’est que lumière et que chaleur et l’arbre d’un seul mouvement n’a qu’une idée dans ses racines
L’oiseau qui se pose sur l’arbre est oiseau de toutes ses ailes Toute en couleur toute en parfum la fleur ignore l’ironie le souvenir la nostalgie les bons les mauvais sentiments le temps qui passe patiemment le temps qui passe tellement
Mon chien qui rêve qu’il est chien et grogne à mes pieds dans l’herbe n’est que mon chien qui se sait chien dans l’herbe qui n’est que de l’herbe
Mais moi Que voulez-vous que je dise de moi Je ne vis qu’une fois mais c’est toujours ailleurs Je vis de mille vies Je meurs de mille morts dénoue ce que j’ai noué déjoue ce qui me lie sorte d’absent-présent que vous nommez un homme
Homme Qui nommez-vous Un autre Moi Personne
Quand je parle au dedans une autre voix résonne et lorsque je me tais je ne reconnais pas le silence que fait mon long silence en moi
Je suis un homme et plusieurs hommes L’instant présent me prend toujours en défaut
Je vis de mille vies Je meurs de mille morts
Si le vent se lève soudain fait frissonner les peupliers longuement torrent qui s’écoule sur les cailloux blancs pommelés du ciel le vent ne froisse que les feuilles pelage vert et murmurant
Mais le vent qui court et parcourt mes étendues et mes domaines le vent n’en finit pas d’aller et de venir
Les labyrinthes du souci
et les signes d’intelligence
que le jour fait à la nuit
le sommeil sa fausse vacance
l’ennui qui nie miroir terni
la lampe éteinte de l’absence
le plaisir où je me délie
le travail où je me dépense
et l’amitié où je m’allie
la réflexion que je devance
le livre où je me relis
le poème qui se condense
dans les ténèbres à demi
de la chuchotante présence
que mon absence contredit
les vaines joies les vraies souffrances
demain qui menace aujourd’hui
je ne suis rien que la patience
qu’ont les vivants à être en vie
Je vis de mille vies Je meurs de mille morts.