Pilote mort
Ni ton sommeil celui du vent. Ni ton repos celui des arbres dans le noir hésitant, quand tâtonne la nuit dans ses ombreuses eaux. Ni ton regard, les cils et leur doux battement, ni ton cœur monotone, et ton rire, et ta voix. Tout cela qui fut toi, perdu, porté manquant, dans l’herbe des prairies à la corne du bois, dans les coquelicots et les reines des prés qui caressent la joue de ce mort de vingt ans
Couleuvre doux-glissant dans l’herbe au bois de mai évite le dormeur plus froid que ton écorce, le dormeur sans sommeil, sans paupières fermées plus seul qu’un astre mort, qu’une étoile sans force dans la grise épaisseur des nuages de l’hiver continuant de briller dans son trompeur été
Ainsi veillent sur toi au profond d’autres terres l’inquiétude et le songe, asiles, cécités.
Le mort entre en vivant, pour quelque temps encore,
dans le rêve et le temps de ceux qui l’attendaient,
avec ses mains qui caressaient, avec son corps
qui respirait, avec sa voix qu’on entendait,
avec son goût pour le pain chaud, pour le vin blanc,
son odeur de tabac, sa démarche, son pas,
la mèche ébouriffée qu’il peignait méchamment,
la montre-bracelet qu’il ne remontait pas.
Mort tu te crois vivant au miroir des vivants.
Les lampes allumées, les lits frais, les visages
encore un peu de temps palpiteront pour toi
déjà si froid, déjà si loin dans l’herbe sage.
Mais s’étonne déjà la fourmi sur ta main,
refaisant le chemin des lignes emmêlées,
ce grand brouillard de jours composant un destin,
si simple maintenant, si simple à déchiffrer.
Mais s’étonne déjà l’oiseau vite envolé,
et l’abeille incertaine au long du lent jour blond,
s’éloigne du dormeur aux cheveux dépeignés
dans son sommeil ocreux, si paisible, si long.