Tombeau de paul eluard
Nos rires revenaient d’un pays de rivières
où le ciel est pensif et calme tout l’été
à force de mirer le ciel et ses clairières
où passent simplement quelques oiseaux distraits
L’amitié comme un feu prise brindille à branche inventée protégée découverte et perdue parée d’un éclat bleu naïve de confiance préservée de nos mains comme une pensée nue
J’ai mis tous mes bonheurs dans le même panier fait du feu sans fumée mangé mon ciel en herbe m’aimant de mes amours je m’efforçais de nier les ruses de la nuit de l’absence et du gel
Le soleil incessant me donnait un ami un miroir exigeant
Nous trouvions chaque jour de plus vives raisons de nous aimer heureux de nous aimer sans fin
L’eau courante l’eau chantante mille déjeuners de soleil mille fêtes d’innocence l’insouciance faite ciel
Le monde naissait à peine J’entendais rire les sources Le matin chaud de soleil se baignait dans la rivière
Nous échangions nos sourires comme les miroirs ce feu que leur solitude inspire aux reflets qui se jouent d’eux
Nous échangions nos rêves les surprises de l’absence et les truites vives brèves qui s’enfuient dans le silence
Nous échangions nos raisons d’avoir raison malgré tout et nous parlions au présent
Mais je te parle au passé.
Je n’arrive jamais
si tu viens dans mes rêves
à te croire tellement absent
Tu parles tu souris
tout comme les vrais gens
tellement ressemblant
à mon ami présent
qu’un autre le croirait
Et tous les gestes inutiles
couleur locale de la vie
tourner la clef sortir en ville
acheter le journal ou bien des cigarettes
prendre un café passer le temps
tu les fais presque parfaitement
Je rêve que tu vis mais l’autre qui m’épie sans vouloir s’endormir s’entête dans la nuit à me prévenir
J’ai beau faire comme si me dire tu es là je suis double et tremblant mi-mort et mi-vivant
Mes rêves peuvent bien remonter à leur source ils repassent toujours par ce jour qui les nie La nouvelle est connue des passants qui te croisent même s’ils font semblant de croire que je rêve
Je vis de mille vies Je meurs d’unique mort
Là ma carcasse se fendille et là mes mailles se défont Déjà mon sang qui se morfond déjà ma mort qui me mordille
Il faudra bien en passer par là Il faudra bien
J’ai trouvé un bon goût à l’air à l’eau de pluie au feu au vent j’ai pris mon bonheur sur la terre Où donc habitait le tourment
Il faudra bien pourtant se faire à n’être plus là Il faudra bien
J’ai vu du pays à n’en plus finir Je n’étais pourtant revenu de rien
Je me souviens de toi et je ne suis plus seul La mort est une erreur une fausse nouvelle pour qui donne la vie
Si nous avons eu mal quand tu t’es endormi comme un qui a sommeil et se détourne un peu
pour reposer ses yeux
de la clarté du jour
si nous avons eu mal
c’est que nous ne savions pas
ta journée accomplie
Chaque homme la poursuit
Nous nous sommes crus seuls et ce n’était pas vrai
Je vis de mille morts et tu m’enseignes à vivre
L’autre en moi qui riait il ne riait qu’aux anges au soleil à son chien aux cheveux fous du jour l’autre en moi qui pleurait pleurait par déraison le malheur d’être ailleurs l’absence pour toujours
J’ai vécu comme en rêve et j’ai rêvé ma mort Je me suis réveillé dans les draps blancs du gel J’ai cru n’être que là et j’ai toujours eu tort d’être partout sans moi de me perdre au dedans
Ils disent tu es mort Tu me fais vivre encore m’empêches d’être ailleurs et m’aides à soutenir d’autres qu’après ma mort je maintiendrai présents
Tu me désignes ici ma place de vivant.