Attente à la station maÏakovsk1
Lorsqu’on t’évoque
je vois à la station de métro
Maïakovski
se penchant sur un amoureux qui attend debout
tenant à la main un bouquet d’œillets
Les trains arrivent et partent
l’un après l’autre
tantôt à droite, tantôt à gauche
et dans la foule des passants
l’amoureux attend debout
tenant à la main un bouquet flétri
enveloppé dans un sachet transparent
lui servant dirait-on de sépulture
Les passants défilent
les amantes enlaçant leurs amants
les trains vont et viennent
et le cœur bat
bat
tel un oiseau en cage
volant dans le ciel de la station
Est-ce celle-ci ?
Non
Est-ce celle-là ?
Non
Chaque passante lui jette un regard en coin
et va son chemin
Et lui attend, attend.
son bouquet flétri à la main
Tout à coup
une main s’est posée sur mon épaule
Je me suis retourné
–
Qui es-tu ?
–
Salut, ai-je dit
Il ne m’a pas rendu mon salut
–
Viens-tu de chez l’Oncle
Sam ?
–
Non, ai-je répondu mais je suis, si tu veux
de son proche et noble entourage
J’ai lâté ma poche pour en sortir un chewing-gum et une cigarette de luxe
–
Tu fumes ? ai-je demandé pour briser la glace
mais il a fait une grimace irrité à la vue d’un milicien
–
N’aie crainte, camarade
Volodia lui ai-je dit
Je ne suis pas un espion
plutôt un inconditionnel de
Natacha
et de tes poèmes rebelles
Je lui ai récité un passage du
Chant de la gauche
un passage du poème sur
Lénine
un autre du
Nuage en pantalon
puis un autre, un autre
jusqu’à ce que la confiance revienne
et qu’il me dise :
Khorocho
puis il m’a fait asseoir à côté de lui
sur le banc en bois
Nous n’avons pas fumé car nous étions dans un lieu public mais nous nous sommes plongés dans un poème puis l’autre avant d’évoquer des souvenirs anciens et
nouveaux
–
Qu’en est-il de la poésie ? a-t-il et ai-je dit
C’est notre diwan internationaliste !
–
Qu’en est-il des poètes ? a-t-il et ai-je dit
Tragique est le destin des poètes
sous n’importe quel climat !
–
Qu’en est-il de la glasnost et de la perestroïka ?
Nous avons ri en chœur
d’un rire semblable au pleur
et avons dit :
Parole de vérité
cachant l’imposture, du vent !
Nous en sommes arrivés au bûcher des passions
comment
Essenine a aimé et en est mort
comment
Lermontov a aimé et en est mort
comment
Pouchkine a aimé et en est mort
comment lui… et
Lili
Brik
et comment il s’est suicidé
Irrité, il a dit :
Mensonge
éculé, j’ai plutôt été tué
Ce n’est pas ma main
qui a tiré la balle
mais celle du secrétaire qui
n’était qu’un sous-homme
Peut-être ne l’as-tu pas… ?
–
Si, ai-je répondu, c’est dans le
Passeport
J’ai lu ce qui y est dit du douanier
du gendarme
du policier
du libraire
des « fous de réunions », les sous-hommes
« qui s’y complaisent », et ils sont légion dans mon pays !
–
Et toi. ne t’es-tu pas suicidé ?
–
Un vers de poésie m’a sauvé, ai-je dit
–
De qui ?
–
D’un fou d’amour qui a écrit : «
Ne guérit de l’amour
qu’un autre amour qui l’efface »
et je lui ai rappelé les siennes :
Tatiana
Maria,
Natalia, et
Lili
Brik
J’en arrivais
à mon propre bûcher des passions
quand une main s’est posée sur mon épaule
Je me suis retourné
–
Je suis en retard ? a-t-elle dit
–
Et moi, c’est de toute ma vie que je suis en retard
Au pied du mémorial en marbre j’ai déposé le bouquet de fleurs et j’ai dit :
Adieu, camarade
Volodia
Puis j’ai enlacé ma compagne et m’en suis allé