La Rose
Jeune fille, jeune fleur.
-(Chateaubriand.)
Au coin du boulevard de la Reine, à Versailles,
Sur un vieux mur terreux, hérissé de broussailles,
Qui clôt de sa tristesse un plus triste jardin,
Une rose fleurit, comme au parc d’Aladin.
Je passe devant elle, & sa fraîcheur me trouble.
Cette rose n’a pas de nom ; à peine double,
La greffe a négligé ses rameaux délicats,
Et nos horticulteurs en feraient peu de cas.
Je ne sais quoi trahit sa sauvage origine,
Un air, une senteur des bois, — & j’imagine
(Tant sa distinction naturelle vous plaît !)
Qu’elle seule, avec Dieu, s’est faite ce qu’elle est.
O fleur, dont la sultane ornerait sa fenêtre !
Quelle dérision du hasard te fit naître
Dans un berceau pareil ? Ou quel vent de malheur
A ton gazon natal vint t’arracher, ô fleur !
Si tu n’es, par miracle, à cet exil ravie,
Tu mourras jeune… après une trop longue vie,
Car tout est laid, mauvais, vulgaire autour de toi,
Et nul ne sait ta grâce, ô fleur, si ce n’est moi !
Et j’en suis à prier qu’aucun regard profane
Avant ton dernier soir ne t’approche & te fane,
Et qu’aucun souffle impur ne vienne, sous nos yeux,
Détourner tes parfums de la route des cieux !
Or, tandis que, parmi l’herbe jaune & les ronces,
Hier, deux ouvriers déchiffraient les annonces
Dont l’industrie encor noircit le sombre mur,
Moi, je rêvais plus loin… &, pareils au fruit mûr
Qui tombe, en gémissant, détaché de la branche,
Je sentis de mon front, qui sous l’automne penche,
Tomber ces vers plaintifs où quelque autre rêveur
Découvrira, peut-être, une intime saveur.