La kermesse

Émile Verhaeren
par Émile Verhaeren
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Avec colère, avec détresse,
Avec ses refrains de quadrilles,
Qui sautèlent sur leurs béquilles,
L’orgue canaille et lourd,
Au fond du bourg,
Moud la kermesse.

Quelques étaux au coin des bornes,
Et quelques vieilles gens,
Au seuil d’un portail morne.

Avec colère, avec détresse, avec blasphème,
Mais, vers la fête,
Quand même,
L’orgue s’entête.

Sa musique de tintamarres
Se casse, en des bagarres
De cuivre vert et de ferblanc,
Et crie et grince dans le vide,

Obstinément,
Sa note acide.

Sur la place, l’église,
Sous le cercueil de ses grands toits
Et les linceuls de ses murs droits,
Tait les reproches
Solennels de ses cloches ;
Un charlatan, sur un tréteau,
Pantalon rouge et vert manteau,
Vend, à grands cris, la vie ;
Puis échange, contre des sous,
Son remède pour loupsgarous
Et l’histoire de point en point suivie,
Sur sa pancarte,
D’un bossu noir qu’il délivra de fièvre quarte.

Et l’orgue rage
Son quadrille sauvage.

Et personne, des hameaux proches,
N’est accouru ;
Vides les étables, vides les poches,
Et rien que la mort et la faim
Dont se peuple l’armoire à pain ;
Dans la misère qui les soude
On sent que les hameaux se boudent,
Qu’entre filles et gars d’amour
La pauvreté découd les alliances
Et que les jours suivant les jours
Chacun des bourgs
Fait son silence avec ses défiances.

L’orgue grinçant et faux,
Du fond de son armoire
D’architecture ostentatoire,
Criaille un bruit de faux
Et de cisailles.

Dans la salle de plâtre cru,
Où ses cris tors et discors, dru,
Contre des murs en lattes
Eclatent,
Des colonnes de verre et de tournants bâtons
Clinquant et or décorent son fronton ;
Et les concassants bruits des cors et des trompettes
Et les fifres, tels des forets,
Cinglent et trouent le cabaret
De leurs tempêtes
Et vont làbas
Contre un pignon, avec fracas,
Broyer l’écho de la grand’rue.

Et l’orgue avec sa rage
S’ameute une dernière fois et rue
Des quatre fers de son tapage
Jusqu’aux enclos et jusqu’aux champs,
Jusqu’aux routes, jusqu’aux étangs,
Jusqu’aux meules de méteil,
Jusqu’au soleil ;
Et seuls dansent aux carrefours,
Jupons gonflés et sabots lourds
Deux pauvres fous avec deux folles.

Les campagnes hallucinées

Émile Verhaeren

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