Une statue (3)

Émile Verhaeren
par Émile Verhaeren
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Prenant pour guide clair l’astre qu’était son âme,
A travers des pays d’ouragans et de flammes,
Il s’en était allé si loin vers l’inconnu
Que son siècle vieux et chenu,
Toussant la peur, au vent trop fort de sa pensée,
L’avait férocement enseveli sous la risée.

Il en était ainsi, depuis des tas d’années
Au long des temps échelonnées,
Quand un matin la ville, où son nom était mort,
Se ressouvint de lui homme âpre et grandiose
Et l’exalta et le grandit en une pose
De penseur accoudé sur un roc d’ombre et d’or.

On inscrivit sur ce granit de gloire
L’exil subi, la faim et la prison,
Et l’on tressa, comme une floraison,
Son crime ancien, autour de sa mémoire.

On lui prit sa pensée et l’on en fit des lois ;
On lui prit sa folie et l’on en fit de l’ordre ;
Et ses railleurs d’antan ne savaient plus où mordre
Le battant de tocsin qui sautait dans sa voix.

Et seul, son geste fier domina la cité
Où l’on voyait briller, agrandi de mystère,
Son front large, puissant, tranquille et comme austère
D’être à la fois d’un temps et de l’éternité.

Recueil : Les villes tentaculaires

Émile Verhaeren

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