L’âme mièvre
Maintenant j’ai revu les moissons oubliées,
Et, dans la paix des soirs pleins de saines senteurs,
Les rudes moissonneurs, près des gerbes liées,
Croisant leurs bras avec des gestes de lutteurs.
Maintenant j’ai revu les forêts et les plaines
Et j’ai marché dans les pâturages herbeux ;
Ma gorge a respiré les puissantes haleines
Qui montent du sol roux blessé par les grands boeufs.
Mais, comme un empereur parmi les foules viles,
Je suis passé dans la campagne, indifférent ;
Car toujours, en mon coeur, l’impur amour des villes
Chantait plus haut que la forêt et le torrent.
Dans les routes des bois et dans les fraîches sentes,
Les augustes frissons des vieux arbres hautains
Ne me faisaient songer qu’à des robes absentes,
Et les ciels me faisaient regretter les satins.
Quand un vent balsamique arrivait des vallées,
J’avais des souvenirs pervers de parfums lourds ;
Et les soleils épars dans les nuits constellées
N’étaient pour moi que des bijoux sur du velours.