Convocation
Ce matin je fus convoqué à la section française de l’académie des éternels.
Bien que je sois arrivé en avance, on me fit pénétrer dans la vénérable assemblée. Assis, tout nu de mots, les mains posées pudiquement sur mon stylo en berne, j’osai timidement dévisager l’illustre cénacle.
Il y avait là, Ferrat tout juste arrivé, devisant avec son cher Aragon. Villon, songeur, triturait un bout de corde. Lamartine, assis sur une pierre à coté de son siège, plongeait les yeux au plus profond d’un lac. Verlaine et Rimbaud se chiffonnaient un mot comme des chiffonniers. Desnos, Eluard, Arnaud, Reverdy, Ponge et Soupault tenaient conciliabule sur je ne sais quel manifeste. Péguy, carte Michelin à la main, étudiait la route de Chartres. Les poétesses prenaient ensemble un thé autour de Louise de Vilmorin.
J’étais comme une armoire verrouillée de l’intérieur. Levant les yeux, j’aperçu un trône ou siégeait la Langue Française. Des rivières de mots coulaient de ses doigts. Je m’abandonnai dans ce courant me délectant de leurs chairs. Un soleil assis sur un arbre éclairait la pièce. J’étais bel et bien convoqué et non pas invité. On me faisait poireauter pour insister sur mon insignifiance.
Pendant que Ferré épouillait tranquillement Pépée, d’autres me tournaient le dos avec ostentation. Quelques chaises vides portaient des noms illustres mais bien vivants. Ici on savait leur arrivée prochaine. Evidement le mien pointait aux abonnés absents. Et pourtant j’étais là à me ronger le frein.
Un silence d’une chaleur intense parcourut l’assemblée. Soutenue par une petite fille, un vieil homme barbu entrait, saluant d’un sourire dame Langue Française. Victor Hugo mi bienveillant mi sévère s’avança vers moi.
Jeune homme, dit-il, je suis très mécontent de vous. Vous vous flattez d’écrire, mais vous avez le verbe mou. Votre muse s’ennuie à de menus travaux domestiques. Prenez garde que l’habitude ne la transforme en boniche. Elle en a par-dessus la tête de vos vers pleurnichards. Votre nombril, chez vous, prend plus d’importance que votre art. Vous reprochez au monde des maux, avec la vigueur d’un vieillard. Vos mots sont fades, vos métaphores glauques. Vos rêves à deux balles ne dépassent pas les portes d’un super marché et vos espoirs sont ceux d’un rentier.
J’ouvris la bouche. Avant qu’un son n’en sorte il ajouta : Le temps que vous passez à essayer de vous justifier, passez le donc à essayer de vous comprendre. Il vous faut travailler, travailler, retravailler. Raturez votre ouvrage, annotez, laissez dormir un temps, reprenez, modifiez. Ce n’est pas la rime qui fait le poète. Il vous faut, sur la page, un toucher d’oiseau. Aiguisez vos colères sur la tranche des mots. Frottez donc vos amours à l’incandescence d’un feu. Saluez vos amis avec la patience du jardinier et chantez vos espoirs, plus haut que sur les toits.
Je restai coi. Il termina ainsi. Je garde votre muse quelques jours de repos ne seront pas de trop, tant vous la desséchez. Je vous prête Breton, il a besoin de prendre l’air.
Un grand escogriffe colérique se glissa dans mon ombre.
En me raccompagnant jusqu’à la porte du réel la petite fille me dit.
– Il n’est pas si terrible que ça, mon papa.