Hé ! Ponge
Ci-gît
Sous fenouil et sous prêle,
Francis Ponge.
Gorgé d’eau et de vert,
Sur son ventre posé,
A nouveau fier dressé,
Immortel,
Et fauché chaque année pour que vive la vie,
Le pré.
Vu de loin, comme pongé,
Soulignant le ciel d’un mince liseré,
Et jusqu’à l’horizon que nulle haie n’arrête,
Ou fourré de ferraille, piqueté, concentré,
Et pourtant chevelure échevelée,
Chevauchant collines et charretées,
Le pré.
Ailleurs minuscule,
Agrippé à sa terre comme un vieux paysan,
Défendant du béton, une maigre parcelle,
Avant que pelouse, il ne soit civilisé
Et ma laisse interdit, devant sa maigre toison,
Rasé de près, pour quel apprêt,
Le pré.
Précieux curés précis,
Vieux farfelus,
Répondeurs automatiques de la parole de Linné,
Jeunes grincheux dentés,
Sages bergers contemplatifs,
Demoiselles ébréchées,
Scientifiques doctrinaires,
Chercheurs d’étoiles,
Pédagos en mal d’élèves,
Ecologistes furieux,
Amateurs de simples,
Pharmaciens se croyant herboristes,
Jouisseurs d’image ou de bouche,
Médecins sucrés,
Singuliers promeneurs solitaires,
Professionnels de l’œil ou du déclic,
Diseurs de mots, useurs de bics,
Enfants ensommeillés,
Amoureux sans hôtel,
Curieuse artiste des herbiers,
Disciples de Buffon sans but passant,
Tous un jour on goutté, sa fraîcheur dans leur dos.
C’est cela et ce n’est pas cela,
Le pré.
De loin impressionniste,
De près impressionné,
L’œil s’y noie.
L’humeur des saisons s’imprime
En flaques de couleurs à géométrie variable.
L’œil s’y perd.
Alors,
Laisser jongler en soi le vert et le verbe,
Accélérer les mots jusqu’à la fusion pure,
Et puis éparpiller sur le papier des lettres
Jusqu’à l’étonnement de l’herbier qui mûrit,
Alors peut-être,
Un pré.
Maintenant
Couché sur le ventre,
A l’agrostis élégamment,
Nous devons satisfaire.
Castellanais, maritimes ou vulgaires rupestres,
Harpiste de la tige, vibrant de l’épillet,
Etre pré, c’est naître graminée.
Forêt à l’échelle des grillons,
Lumière captive des feuilles,
Elan à la recherche du ciel,
Xérès à mammifères
Urticant tes indésirables,
Essai d’arbre,
Urne à rosée,
Stellaire rayon vert,
Etrange symbiose enchevêtrée,
Aussi touffu que dix Amazonie,
Garde manger pour coccinelle,
Raccourci d’univers,
Onde flamboyante du vent,
Super nova dans la vie d’un botaniste,
Toujours soumis au vouloir des saisons,
Impatient d’exister jusqu’à la graine,
Source de steak, je te rumine.
Le pré
Décrire son milieu, c’est décrire mille lieux,
Ou partir d’un point fixe pour faire un tour du monde
Et puis recommencer, recommencer,
Infatigablement.
Dénouer cet embrouillamini flexible ou se tendent des pièges de soie.
Comprendre la souterraine envie de l’orchidée à se mirer l’oignon.
Pourrons nous dire, un jour, du pré nous savons tout ?
Bien avant,
Je laisserai derrière moi
Un pistil vibrant d’une passion d’abeille,
Pour m’en aller au bois chercher
D’autres sujets qui m’aille en thème.
Puis, jetant la balle aux cieux,
Pour que mille pongistes merveilleux,
Sur mon corps allongé,
Reprennent la plume,
Et vous content encore et encore,
Prêles et fenouils,
Utilisant au mieux leurs prénoms et leur nom
Prolongent le trait
___________________________________
Pierre-Marie Faure