Examen de conscience

Félix Arvers
par Félix Arvers
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Frères, je me confesse, et vais vous confier
Mon sort, pour vous instruire et vous édifier.

Un jour, je me sentis le désir de connaître
Ce qu’enfermait en soi le secret de mon être,
Ignorant jusque-là, je brûlai de savoir ;
J’examinai mon âme et j’eus peur à la voir.
Alors, et quand je l’eus à souhait regardée,
Que je la connus bien, il me vint à l’idée
De m’enquérir un peu pourquoi j’étais ainsi,
Et d’où je pouvais m’être à ce point endurci :
Car je ne pouvais pas me faire à la pensée
Qu’elle se fût si vite et si bas affaissée,
Car j’étais tout confus, car, en y bien cherchant,
Il me semblait à moi n’être pas né méchant.
En effet, je pouvais être bon. Mais j’espère
Que Dieu pardonne et fait miséricorde au père
Qui veut trop pour son fils, et lui fait désirer
Un sort où la raison lui défend d’aspirer !
Mon malheur vient de là, d’avoir pu méconnaître
L’humble condition où Dieu m’avait fait naître.
D’avoir tâché trop loin, et d’avoir prétendu
A m’élever plus haut que je ne l’aurais dû !
Hélas ! j’allai partout, chétif et misérable.
Traîner péniblement ma blessure incurable ;
Comme un pauvre à genoux au bord d’un grand chemin,
J’ai montré mon ulcère, et j’ai tendu la main ;
Malheureux matelot perdu dans un naufrage.
J’ai crié ; mais ma voix s’est mêlée à l’orage ;
Mais je n’ai rencontré personne qui voulût
Me plaindre, et me jeter la planche de salut.
Et moi, je n’allai point, libre et sans énergie.
Exhaler ma douleur en piteuse élégie.
Comme un enfant mutin pleure de ne pouvoir
Atteindre un beau fruit mûr qu’il vient d’apercevoir.
Je gardai mon chagrin pour moi, j’eus le courage
De renfermer ma haine et d’étouffer ma rage,
Personne n’entrevit ce que je ressentais.
Et l’on me crut joyeux parce que je chantais.
Tel s’est passé pour moi cet âge d’innocence
Où des songes riants bercent l’adolescence.
Sans jouir de la vie, et sans avoir jamais
Vu contenter un seul des vœux que je formais :
Jamais l’Illusion, jamais le doux Prestige,
Lutin capricieux qui rit et qui voltige,
Ne vint auprès de moi, dans son vol caressant,
Secouer sur mon front ses ailes en passant,
Et jamais voix de femme, harmonieuse et tendre,
N’a trouvé de doux mots qu’elle me fit entendre.
Une fois, une fois pourtant, sans le savoir,
J’ai cru naître à la vie, au bonheur, j’ai cru voir
Comme un éclair d’amour, une vague pensée
Qui vint luire à mon âme et qui l’a traversée,
A ce rêve si doux je crus quelques instants ;
— Mais elle est sitôt morte et voilà si longtemps !

Je me livrai dès lors à l’ardeur délirante
D’un cerveau maladif et d’une âme souffrante ;
J’entrepris de savoir tout ce que recelait
En soi le cœur humain de difforme et de laid ;
Je me donnai sans honte à ces femmes perdues
Qu’a séduites un lâche, ou qu’un père a vendues.
J’excitai dans leurs bras mes désirs épuisés,
Et je leur prodiguai mon or et mes baisers :
Près d’elles, je voulus contenter mon envie
De voir au plus profond des secrets de la vie.
J’allai, je descendis aussi loin que je pus
Dans les sombres détours de ces cœurs corrompus,
Trop heureux, quand un mot, un signe involontaire
D’un vice, neuf pour moi, trahissait le mystère,
Et qu’aux derniers replis à la fin parvenu,
Mon œil, comme leurs corps, voyait leur âme à nu.

Or, vous ne savez pas, combien à cette vie,
A poursuivre sans fin cette fatale envie
De tout voir, tout connaître, et de tout épuiser,
L’âme est prompte à s’aigrir et facile à s’user.
Malheur à qui, brûlant d’une ardeur insensée
De lire à découvert dans l’homme et sa pensée.
S’y plonge, et ne craint pas d’y fouiller trop souvent,
D’en approcher trop près, et d’y voir trop avant !
C’est ce qui m’acheva : c’est cette inquiétude
A chercher un cœur d’homme où mettre mon étude,
C’est ce mal d’avoir pu, trop jeune, apercevoir
Ce que j’aurais mieux fait de ne jamais savoir.
Désabusé de tout, je me suis vu ravie
La douce illusion qui fait aimer la vie,
Le riant avenir dont mon cœur s’est flétri,
Et ne pouvant plus croire à l’amour, j’en ai ri :
Et j’en suis venu là, que si, par occurrence,
— Je suis si jeune encore, et j’ai tant d’espérance !
— Une vierge aux doux yeux, et telle que souvent
J’en voyais autrefois m’apparaître en rêvant,
Simple, et croyant encore à la magie antique
De ces traditions du foyer domestique.
M’aimait, me le disait, et venait à son tour
Me demander sa part de mon âme en retour ;
Vierge, il faudrait me fuir, et faire des neuvaines
Pour arracher bientôt ce poison de tes veines,
Il faudrait me haïr, car moi, je ne pourrais
Te rendre cet amour que tu me donnerais,
Car je me suis damné, moi, car il faut te dire
Que je passe mes jours et mes nuits à maudire,
Que, sous cet air joyeux, je suis triste et nourris
Pour tout le genre humain le plus profond mépris :
Mais il faudrait me plaindre encore davantage
De m’être fait si vieux et si dur à cet âge,
D’avoir pu me glacer le cœur, et le fermer
A n’y laisser l’espoir ni la place d’aimer.

Félix Arvers

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