On m’éreinte…
À Raymond Bonheur.
On m’éreinte dans le Musée des familles,
moi qui chante les anciens magazines
et les rires charmants des jeunes filles
qui le lisaient à l’ombre des charmilles.
Une d’elles, rêveuse, et ses yeux bleus au ciel,
le coude à son genou et la main au menton,
songeait à ce cousin : Eudore des Courcels,
qui montait à cheval parfaitement (disait-on).
Plus d’une fois, dans son pupitre, au Sacré-Cœur,
près des pensées mortes de son jardin mélancolique,
elle ouvrait le Musée, en cachette, pour lire
la suite du Diable au fumoir (?) ou de Fors l’honneur (?).
Mais, dans un numéro, à la cinquième page,
une illustration représentait un page
qui, dans la langueur des jardins d’Espagne,
parlait d’amour à une douce et longue dame.
Et ce page ressemblait à ce cousin.
Et c’est pourquoi la maîtresse générale, Madame de Grieul,
voyant l’enfant songeuse l’avait en grand soin
et lui donnait de la mélisse ou du tilleul.
Puis un jour le roman du Musée des familles
finissait, ainsi qu’un baiser dans un beau soir.
Et puis, un autre jour, la mère de Camille
faisait mander sa chère enfant dans le parloir :
Mon enfant, j’ai une nouvelle heureuse à t’apprendre.
Nous serons tous de noce à la fin de l’automne…
Céline m’a appris le mariage d’Eudore…
il épouse Cora… ils vivront à la Butte-Grande…
… À propos, ajoutait la mère : ton cousin
va s’absenter et a peur que Cora ne s’ennuie…
Où as-tu laissé ce Musée des familles
qui t’intéressait tant, celui de 45 ?
Alors l’enfant ne pouvait plus se retenir.
Son sein gonflé d’orage éclatait en sanglots…
Et elle répondait, en hoquetant, ces mots :
l’année 45, elle est dans mon pupitre.