Silence…
À Albert Samain.
Silence. Puis une hirondelle sur un contrevent
fait un bruit d’azur dans l’air frais et bleuissant,
toute seule. Puis deux sabots traînassent dans la rue.
La campagne est pâle, mais au ciel gris qui remue
on voit déjà le bleu qui chauffera le jour.
Je pense aux amours des vieux temps, aux amours
de ceux qui habitaient aux parcs des beaux pays
riches en vigne, en blé, en foin et en maïs.
Les paons bleus remuaient sur les pelouses vertes,
et les feuilles vertes se miraient aux vitres vertes
dans le réveillement du ciel devenu vert.
Les chaînes dans l’étable où l’ombre était ouverte
avaient un bruit tremblé de choquement de verres.
Je pense au vieux château de la propriété,
aux chasseurs s’en allant par les matins d’été,
aux aboiements longs des chiens flaireurs qui rampent…
Dans l’énorme escalier cirée était la rampe.
La porte était haute d’où les jeunes mariés,
en écoutant partir les grands-pères, riaient,
s’entrelaçaient et joignaient leurs jolies lèvres,
pendant que tremblaient, aux gîtes d’argent, les lièvres.
Que ces temps étaient beaux où les meubles-Empire
luisaient par le vernis et les poignées de cuivre…
Cela était charmant, très laid et régulier
comme le chapeau de Napoléon premier.
Je pense aussi aux soirées où les petites filles
jouaient aux volants près de la haute grille.
Elles avaient des pantalons qui dépassaient
leurs robes convenables et atteignaient leurs pieds :
Herminie, Coralie, Clémence, Célanire,
Aménaide, Athénaïs, Julie, Zulmire ;
leurs grands chapeaux de paille avaient de longs rubans.
Tout à coup un paon bleu se perchait sur un banc.
Une raquette lançait un dernier volant
qui mourait dans la nuit qui dormait aux feuillages,
pendant qu’on entendait un roulement d’orage.