À M. de La Garde
Au sujet de son Histoire Sainte.
1628.
La Garde, tes doctes écrits
Montrent les soins que tu as pris
À savoir tant de belles choses ;
Et ta prestance et tes discours
Étalent un heureux concours
De toutes les grâces écloses.
Davantage tes actions
Captivent les affections
Des cœurs, des yeux, et des oreilles ;
Forçant les personnes d’honneur
De te souhaiter tout bonheur
Pour tes qualités nonpareilles.
Tu sais bien que je suis de ceux
Qui ne sont jamais paresseux
À louer les vertus des hommes ;
Et dans Paris en mes vieux ans
Je passe à ce devoir mon temps,
Au malheureux siècle où nous sommes.
Mais, las ! la perte de mon fils,
Ses assassins d’orgueil bouffis,
Ont toute ma vigueur ravie ;
L’ingratitude et peu de soin
Que montrent les grands au besoin
De douleurs accablent ma vie.
Je ne désiste pas pourtant
D’être dans moi-même content
D’avoir vécu dedans le monde,
Prisé, quoique vieil, abattu,
Des gens de bien et de vertu ;
Et voilà le bien qui m’abonde.
Nos jours passent comme le vent ;
Les plaisirs nous vont décevant ;
Et toutes les faveurs humaines
Sont hémérocalles, d’un jour :
Grandeurs, richesses, et l’amour,
Sont fleurs périssables et vaines.
Nous avons tant perdu d’amis,
Et de biens par le sort transmis
Au pouvoir de nos adversaires !
Néanmoins nous voyons, du port,
D’autrui les débris et la mort,
En nous éloignant des corsaires.
Ainsi puissions-nous voir longtemps
Nos esprits libres et contents
Sous l’influence d’un bon astre !
Que vive et meure qui voudra :
La constance nous résoudra
Contre l’effort de tout désastre.
Le soldat, remis par son chef,
Pour se garantir de méchef,
En état de faire sa garde,
N’oserait pas en déloger
Sans congé, pour se soulager,
Nonobstant que trop il lui tarde.
Car, s’il procédait autrement,
Il serait puni promptement
Aux dépens de sa propre vie.
Le parfait chrétien tout ainsi,
Créé pour obéir aussi,
Y tient sa fortune asservie.
Il ne doit pas quitter ce lieu
Ordonné par la loi de Dieu ;
Car l’âme qui lui est transmise
Félonne ne doit pas fuir
Pour sa damnation encourir,
Et être en l’Érèbe remise.
Désolé je tiens ce propos,
Voyant approcher Atropos
Pour couper le nœud de ma trame :
Et ne puis ni veux l’éviter,
Moins aussi la précipiter ;
Car Dieu seul commande à mon âme.
Non, Malherbe n’est pas de ceux
Que l’esprit d’enfer a déceux
Pour acquérir la renommée
De s’être affranchis de prison
Par une lame, ou par poison,
Ou par une rage animée.
Au seul point que Dieu prescrira,
Mon âme du corps partira
Sans contrainte ni violence ;
De l’enfer les tentations,
Ni toutes mes afflictions,
Ne forceront point ma constance.
Mais, La Garde, voyez comment
On se divague doucement,
Et comme notre esprit agrée
De s’entretenir près et loin,
Encore qu’il n’en soit pas besoin,
Avec l’objet qui le récrée.
J’avais mis la plume à la main
Avec l’honorable dessein
De louer votre sainte Histoire :
Mais l’amitié que je vous dois
Par-delà ce que je voulais
A fait débaucher ma mémoire.
Vous m’étiez présent à l’esprit
En voulant tracer cet écrit ;
Et me semblait vous voir paraître
Brave et galant en cette cour,
Où les plus huppés à leur tour
Tâchaient de vous voir et connaître.
Mais ores à moi revenu,
Comme d’un doux songe avenu
Qui tous nos sentiments cajole,
Je veux vous dire franchement,
Et de ma façon librement,
Que votre Histoire est une école.
Pour moi, dans ce que j’en ai veu,
J’assure qu’elle aura l’aveu
De tout excellent personnage :
Et puisque Malherbe le dit,
Cela sera sans contredit ;
Car c’est un très juste présage.
Toute la France sait fort bien
Que je n’estime ou reprends rien
Que par raison et par bon titre,
Et que les doctes de mon temps
Ont toujours été très contents
De m’élire pour leur arbitre.
La Garde, vous m’en croirez donc,
Que si gentilhomme fut onc
Digne d’éternelle mémoire,
Par vos vertus vous le serez,
Et votre los rehausserez
Par votre docte et sainte Histoire.