Consolation à Caritée, sur la mort de son mari

François de Malherbe
par François de Malherbe
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Ainsi quand Mausole fut mort
Artémise accusa le sort :
De pleurs se noya le visage :
Et dit aux astres innocents
Tout ce que fait dire la rage,
Quand elle est maîtresse des sens.

Ainsi fut sourde au réconfort,
Quand elle eut trouvé dans le port
La perte qu’elle avait songée,
Celle de qui les passions
Firent voir à la mer Egée
Le premier nid des Alcyons.

Vous n’êtes seule en ce tourment
Qui témoignez du sentiment,
O trop fidèle Caritée :
En toutes âmes l’amitié
De mêmes ennuis agitée
Fait les mêmes traits de pitié.

De combien de jeunes maris
En la querelle de Pâris
Tomba la vie entre les armes,
Qui fussent retournés un jour,
Si la mort se payait de larmes,
A Mycènes faire l’amour.

Mais le destin qui fait nos lois,
Est jaloux qu’on passe deux fois
Audeçà du rivage blême :
Et les dieux ont gardé ce don
Si rare, que Jupiter même
Ne le sut faire à Sarpedon.

Pourquoi donc si peu sagement
Démentant votre jugement
Passezvous en cette amertume,
Le meilleur de votre saison,
Aimant mieux plaindre par coutume
Que vous consoler par raison ?

Nature fait bien quelque effort,
Qu’on ne peut condamner qu’à tort,
Mais que direzvous pour défendre
Ce prodige de cruauté,
Par qui vous semblez entreprendre
De ruiner votre beauté ?

Que vous ont fait ces beaux cheveux,
Dignes objets de tant de voeux,
Pour endurer votre colère ?
Et devenus vos ennemis
Recevoir l’injuste salaire
D’un crime qu’ils n’ont point commis ?

Quelles aimables qualités
En celui que vous regrettez,
Ont pu mériter qu’à vos roses
Vous ôtiez leur vive couleur,
Et livriez de si belles choses
A la merci de la douleur ?

Remettezvous l’âme en repos,
Changez ces funestes propos :
Et par la fin de vos tempêtes,
Obligeant tous les beaux esprits,
Conservez au siècle où vous êtes,
Ce que vous lui donnez de prix.

Amour autrefois en vos yeux
Plein d’appas si délicieux,
Devient mélancolique et sombre,
Quand il voit qu’un si long ennui,
Vous fait consumer pour un ombre,
Ce que vous n’avez que pour lui.

S’il vous ressouvient du pouvoir
Que ses traits vous ont fait avoir,
Quand vos lumières étaient calmes,
Permettezlui de vous guérir
Et ne différez point les palmes,
Qu’il brûle de vous acquérir.

Le temps d’un insensible cours
Nous porte à la fin de nos jours :
C’est à notre sage conduite,
Sans murmurer de ce défaut,
De nous consoler de sa fuite
En le ménageant comme il faut.

François de Malherbe

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