Dure contrainte de partir

François de Malherbe
par François de Malherbe
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xxPour M. le duc de Bellegarde,
À madame la princesse de Conti.

1608.

Dure contrainte de partir,
À quoi je ne puis consentir,
Et dont je ne m’ose défendre,
Que ta rigueur a de pouvoir !
Et que tu me fais bien apprendre
Quel tyran c’est que le devoir !

J’aurai donc nommé ces beaux yeux
Tant de fois mes rois et mes dieux,
Pour aujourd’hui n’en tenir compte,
Et permettre qu’à l’avenir
On leur impute cette honte
De n’avoir su me retenir !

Ils auront donc ce déplaisir,
Que je meure après un désir
Où la vanité me convie ;
Et qu’ayant juré si souvent
D’être auprès d’eux toute ma vie,
Mes serments s’en aillent au vent !

Vraiment, je puis bien avouer
Que j’avais tort de me louer
Par-dessus le reste des hommes ;
Je n’ai point d’autre qualité
Que celle du siècle où nous sommes,
La fraude, et l’infidélité.

Mais à quoi tendent ces discours,
Ô beauté qui de mes amours
Êtes le port et le naufrage ?
Ce que je dis contre ma foi,
N’est-ce pas un vrai témoignage
Que je suis déjà hors de moi ?

Votre esprit, de qui la beauté
Dans la plus sombre obscurité
Se fait une insensible voie,
Ne vous laisse pas ignorer
Que c’est le comble de ma joie
Que l’honneur de vous adorer.

Mais pourrais-je n’obéir pas
Au Destin, de qui le compas
Marque à chacun son aventure,
Puisqu’en leur propre adversité
Les dieux, tout-puissants de nature,
Cèdent à la Nécessité ?

Pour le moins j’ai ce réconfort,
Que les derniers traits de la mort
Sont peints en mon visage blême,
Et font voir assez clair à tous
Que c’est m’arracher à moi-même
Que de me séparer de vous.

Un lâche espoir de revenir
Tâche en vain de m’entretenir :
Ce qu’il me propose m’irrite ;
Et mes vœux n’auront point de lieu,
Si par le trépas je n’évite
La douleur de vous dire adieu.

François de Malherbe

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