Philis, qui me voit le teint blême
Pour M. le duc de Bellegarde, à une femme qui
xxs’était imaginé qu’il était amoureux d’elle.
1606.
Philis, qui me voit le teint blême,
Les sens ravis hors de moi-même,
Et les yeux trempés tout le jour,
Cherchant la cause de ma peine,
Se figure, tant elle est vaine,
Qu’elle m’a donné de l’amour.
Je suis marri que la colère
Me porte jusqu’à lui déplaire ;
Mais pourquoi ne m’est-il permis
De lui dire qu’elle s’abuse,
Puisqu’à ma honte elle s’accuse
De ce qu’elle n’a point commis ?
En quelle école nonpareille
Aurait-elle appris la merveille
De si bien charmer ses appas,
Que je pusse la trouver belle,
Pâlir, languir, transir pour elle,
Et ne m’en apercevoir pas ?
Ô qu’il me serait désirable
Que je ne fusse misérable
Que pour être dans sa prison !
Mon mal ne m’étonnerait guère,
Et les herbes les plus vulgaires
M’en donneraient la guérison.
Mais, ô rigoureuse aventure !
Un chef-d’œuvre de la nature,
Au lieu du monde le plus beau
Tient ma liberté si bien close,
Que le mieux que je m’en propose
C’est d’en sortir par le tombeau.
Pauvre Philis mal avisée,
Cessez de servir de risée,
Et souffrez que la vérité
Vous témoigne votre ignorance,
Afin que, perdant l’espérance,
Vous perdiez la témérité.
C’est de Glycère que procèdent
Tous les ennuis qui me possèdent,
Sans remède et sans réconfort.
Glycère fait mes destinées ;
Et, comme il lui plaît, mes années
Sont ou près ou loin de la mort.
C’est bien un courage de glace
Où la pitié n’a point de place,
Et que rien ne peut émouvoir ;
Mais quelque défaut que j’y blâme,
Je ne puis l’ôter de mon âme,
Non plus que vous y recevoir.