L’amour de son néant
Mon centre est le néant, c’est un vrai lieu de paix.
L’imposture et l’erreur ne s’y trouvent jamais.
Lorsque je ne veux rien, l’ennemi se retire,
Il ne sait où me prendre, il ne sait que me dire.
Quand il veut raisonner, je ne l’écoute pas,
Quand il flatte mes sens, je sais me tenir bas.
Que ce néant est beau ! qu’il est doux et tranquille.
Ce néant me fait voir que je suis inutile,
Que je n’ai rien de bon, et que je ne puis rien ;
Que je n’ai de mon fonds ni force ni soutien ;
Que tout mon être humain n’est qu’un flux d’inconstance.
Ainsi Dieu parait mieux mon unique assistance.
C’est beaucoup de faveur qu’il me lance un regard.
S’il ne me donne rien, le néant est ma part ;
Souvent de l’oraison toute l’heure est passée,
Que je ne sens en moi ni désir ni pensée ;
S’il m’en vient, c’est un trait de sa bénignité,
Ainsi je vois sa grâce, et mon indignité.
Lorsque je suis, stérile, une retraite entière,
Mon néant me tient lieu d’attrait et de lumière,
Et je me réjouis par un élan de foi
Qu’en Dieu tout bien se trouve, et le néant en moi.
Laissezmoi mon néant, jouissez de votre être,
Seigneur, tout mon repos est de me bien connaître.
Vous n’êtes que grandeur, que gloire et que bonté,
Et moi rien par nature, et rien de volonté.
À vous seul tout hommage, à vous seul toute gloire,
Et moi de mon néant je chéris la mémoire.
Dieu, vivez dans vousmême, et moi dans mon néant
Que je sois toujours bas, et mon Dieu toujours grand. […]